I- L’analyse démographique, outil d’élaboration de la GPEC au sein d’une économie planifiée

1. L’établissement de santé est donc tenu de mener à bien une démarche GPEC au sein d’une économie dite administrée ou planifiée, dans laquelle toutes les décisions fonctionnelles, organiques et stratégiques sont en définitive, prises par l’ARS. En tout état de cause, le directeur d’établissement devra tenir compte de l’intervention de l’administration dans sa gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Administration qui elle-même tient compte des mouvements et tendances démographiques afin d’établir sa politique de planification à l’échelle territoriale.

Grâce à une analyse pertinente du territoire de santé et de l’évolution démographique des populations et des professionnels de santé, le directeur sera donc à même d’anticiper et de prévoir l’évolution future des emplois et des compétences de sa structure, à moyen puis à long terme. La desserte du territoire de santé a ainsi fait l’objet de nombreuses analyses de la part des géographes de la santé. Une étude et une connaissance précise de ces évolutions permettront à tout directeur avisé de prévoir ses besoins en personnels médicaux, voire d’envisager une opération de groupement ou de fusion avec d’autres établissements.

2. En effet, « d’ici 2020, la France comptera entre 850 000 et 1 100 000 personnes de plus de 75 ans, potentiellement dépendantes, dont deux tiers de femmes ». Par ailleurs, en 2060, l’espérance de vie sera de 91 ans pour les femmes et de 86 ans pour les hommes . De ce fait, le risque d’hospitalisation des personnes de plus de 75 ans, en situation de dépendance et souffrant de pathologies sérieuses, connaîtra une évolution exponentielle. L’entrée des « papy boomers » dans la catégorie du troisième âge entraînera une augmentation des prises en charge des maladies chroniques et poly pathologiques.

L’augmentation des personnes très âgées, dites du quatrième âge , souvent en situation de fin de vie, induira également une augmentation des prises en charge gériatriques. En outre, l’allongement de la durée de vie, à l’origine des maladies dégénératives et de la perte d’autonomie, nécessitera une prise en charge globale incluant les dimensions sociales et psychologiques. Cette « déferlante grise » impactera directement les besoins de recrutement sur les métiers d’infirmiers et d’aides-soignants en établissements d’hébergement ou en services de soins à domicile . Elle renforcera également la concurrence entre territoire pour les recrutements des personnels qualifiés.

3. Il est certain que les départs massifs à la retraite dans la fonction publique hospitalière impacteront également le recrutement des établissements, pour certains exposés à des pertes de compétences importantes ainsi qu’à des pertes d’attractivité. En effet, la médecine générale semble connaître un phénomène de désaffection depuis 2005, en partie justifié par le fait que les étudiants y voient un manque de perspectives de carrière . La baisse des omnipraticiens de ville est ainsi estimée à 11 000 d’ici 2020 .

4. Par ailleurs, on a pu constater que la croissance des effectifs des médecins varie en fonction des spécialités. Parmi les disciplines médicales cliniques, l’endocrinologie, la néphrologie, la neurologie ou la radiodiagnostic, ont une évolution, en termes d’effectifs, plutôt favorable. En revanche, d’autres disciplines telles que l’anesthésie, la dermatologie, la pédiatrie, la rhumatologie ou la gynécologie médicale connaissent une progression moins importante.

En outre, le secteur de la chirurgie a connu une augmentation notable ces dernières années, alors que la gynécologie, l’obstétrique, l’ophtalmologie et l’ORL ont connu une diminution relativement conséquente de leur effectif. Enfin, la stomatologie constitue la discipline la moins prisée par les professionnels et semble quasiment en voie de disparition . Les disparités existantes au sein de chaque discipline impactent directement la couverture du territoire de santé ainsi que la gestion des ressources humaines des emplois et des compétences de l’établissement.

5. Ainsi que l’affirment certains experts, « la pénurie de médecins […] va provoquer une tension sur l’offre et un glissement de tâches, ainsi qu’un phénomène de surenchère entre établissements pour attirer les médecins ». Le déficit en démographie médicale va donc être corrélé à un transfert structuré des compétences, entraînant une modification de l’organisation des tâches entre médecins et paramédicaux et entre paramédicaux eux-mêmes. Afin d’être opérationnel demain, le directeur d’aujourd’hui doit donc anticiper ses besoins en termes de recrutements.

6. En effet, selon le rapport MILON , afin d’ajuster les effectifs nécessaires à chaque spécialité, il est nécessaire d’anticiper non seulement les besoins futurs d’une population, mais aussi les progrès techniques modifiant certaines thérapeutiques et l’exercice de la chirurgie. Ainsi, les évolutions technologiques favorisant notamment les « gestes percutanés » par rapport « aux techniques invasives », laissent supposer que le nombre de chirurgiens cardiaques devrait fortement augmenter dans l’avenir, ceci dans la mesure où les pathologies coronaires sont dorénavant prises en charge par les cardiologues. De même, les progrès techniques tels que la robotique et la chirurgie endovasculaire ont respectivement influé l’exercice de l’orthopédie et de la chirurgie vasculaire.

7. La répartition de ces spécialistes sur le territoire français demeure également très inégale. Certaines régions telles que la Picardie, la Champagne-Ardenne, le Centre, ou certain départements tels que l’Ardèche ou le Lot, connaissent un phénomène de désertification médicale. Cette tendance à la désertification n’est cependant pas nécessairement corrélée à un taux élevé de restructuration dans ces régions.

8. Précisons que le choix d’installation territorial des jeunes chirurgiens dépend également pour beaucoup de la « capacité des établissements à mettre à leur disposition des plateaux technique de qualité ». Pour autant, ainsi que le rapporte Monsieur le professeur Guy VALLENCIEN dans un rapport relatif à l’évaluation de la sécurité, de la qualité, et de la continuité des soins chirurgicaux dans les petits hôpitaux publics en France , les établissements disposant de plateaux techniques de pointe ne disposent pas nécessairement d’un nombre suffisant de praticiens chirurgicaux. Par ailleurs, le choix d’installation des chirurgiens dépend également de la « présence d’une équipe médicale et paramédicale complète ».

Ceci pour des raisons de sécurité, mais également pour des facteurs de qualité de vie, liés à l’allègement des gardes et des astreintes. Pour pallier à la pénurie de chirurgiens dans les régions, certains considèrent qu’il conviendrait d’inciter les internes à rejoindre un territoire désaffecté, en contrepartie de bourses d’étude avantageuses. D’autres proposent d’ « instaurer un service médical public de 3 à 5 ans » dans la région de formation des jeunes chirurgiens.

9. Pour conclure, précisons que l’e-santé peut constituer une méthode de gestion de la pénurie des compétences. En effet, afin de pallier au déficit de personnel, la télé expertise apparaît comme étant un outil pertinent que devra prendre en compte une démarche GPEC, afin de faciliter la réalisation des diagnostics à distance. La télémédecine va donc permettre au patient d’être suivi à domicile ou en établissement de proximité. Certains établissements rencontreront des difficultés de recrutement sur les métiers tels que manipulateur radio ou radio physiciens. Les CHU de grande taille, notamment, devront également intégrer à leur démarche GPEC, les nouvelles compétences telles que bio statisticiens ou data manager.

Avocat Maître Mouillac-Delage

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