I- Le caractère distinct et autonome de la GPEC et du Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE)

2. La consécration par l’arrêt Serca de l’étanchéité entre les notions de GPEC et de plan de sauvegarde de l’emploi, a été le fruit d’une longue évolution jurisprudentielle qu’il convient de retracer. Nous constaterons ainsi que l’affirmation du caractère distinct et autonome des deux obligations par la jurisprudence (A), a permis de mettre un terme à long conflit jurisprudentiel et doctrinal (B) en la matière.

A- L’affirmation du caractère distinct et autonome des deux obligations par la jurisprudence

3. Par un arrêt de principe en date du 30 septembre 2009 , la Cour de cassation est venue mettre fin au contentieux jurisprudentiel et doctrinal relatif à l’articulation entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi. En effet, si la jurisprudence NextiraOne a longtemps semé le trouble en la matière, la haute juridiction affirme dans son arrêt Serca que la validité d’un plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas subordonnée au respect par l’employeur de ses obligations en matière de négociation de la GPEC ou de consultation du comité d’entreprise sur l’emploi.

Elle précise que « la régularité de la consultation du comité d’entreprise sur un projet de licenciement économique n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur l’évolution annuelle des emplois et des qualifications prévue par l’article L. 2323-56 du code du travail ni de celle d’engager tous les trois ans une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences imposée par l’article 2242-15 du même code ». La cour de cassation a ainsi confirmé le positionnement de la cour d’appel de Montpellier qui se fondait sur le caractère autonome et distinct des obligations relatives aux négociations de la GPEC et à la consultation du comité d’entreprise au titre de l’évolution des emplois par rapport à la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

4. Précisons que cette décision de la Cour de cassation est née d’un courant jurisprudentiel qui tentait de démontrer l’étanchéité des dispositifs GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi. En effet, dans quelques affaires précédentes, et notamment dans l’affaire Yoplait , les juges ont clairement affirmé que la GPEC n’est pas « la condition préalable à la mise en œuvre d’un projet de licenciement obligeant la mise en en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi ». Dans cette affaire, il été reproché aux organisations syndicales de ne pas avoir demandé l’ouverture de négociation après l’annonce du projet de restructuration.

Cette position du tribunal demeure toutefois ambiguë, car il sous-entend qu’il aurait pu se prononcer différemment, si les organisations syndicales avaient demandé l’ouverture des négociations. À l’instar de cette décision, la Cour d’Appel de Versailles a décidé dans l’affaire dite EDF , que l’absence de négociation dans le délai de 3 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi, ne peut entraîner la suspension d’une décision du chef d’entreprise, dans la mesure où les organisations syndicales n’ont pas demandé l’ouverture des négociations.

Enfin dans l’affaire Sanofi Aventis du 11 janvier 2007 , le TGI de Paris refuse d’établir tout lien entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi et précise de ce fait que la GPEC « ne s’impose pas comme une condition préalable avant des mesures de licenciements impliquant la mise en œuvre d’un PSE ».

5. Une partie de la doctrine s’est faite l’écho de ces décisions favorables au caractère distinct et autonome des deux obligations. Certains auteurs considèrent ainsi que le législateur n’avait aucunement l’intention de faire de la GPEC une condition de mise en œuvre du plan de sauvegarde de l’emploi .

En effet, si tel avait été le cas, ce dernier n’aurait certainement pas manqué de le signifier explicitement, comme il l’avait fait à travers l’amendement Michelin , concernant l’obligation de négocier un accord de RTT, préalablement à l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Par ailleurs, ainsi que le précise G. BELIER et S. GUEDES DA COSTA, « GPEC et PSE sont deux dispositifs autonomes », aux finalités et temporalités divergentes. En effet, le premier intervient de manière régulière, alors que le deuxième se manifeste en période de crise de manière imprévisible. Dès lors, la GPEC a pour objet d’anticiper et de préserver l’emploi,
alors que le plan de sauvegarde de l’emploi a pour objet d’éviter les licenciements.

B- La fin d’un contentieux jurisprudentiel et doctrinal

6. La jurisprudence Serca, est venue apporter des réponses au contentieux jurisprudentiel et doctrinal relatif à l’effectivité de l’obligation triennale (1), mais aussi au caractère préalable de l’obligation de négocier la GPEC (2).

1- Contentieux quant à l’effectivité de l’obligation triennale

7. A travers la jurisprudence Serca, la Cour de cassation est donc venue mettre un terme au débat jurisprudentiel tendant à établir un lien entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi. Il est ainsi permis de s’interroger sur les raisons ayant poussé tant la doctrine que les tribunaux à établir cette « liaison », souvent qualifiée de « dangereuse » entre les deux dispositifs.

8. La problématique relative à l’articulation entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi est probablement née d’un premier questionnement concernant la date d’application de l’obligation triennale de négocier.

En effet, rappelons qu’en vertu de l’article L.2242-15 du Code du travail, l’employeur a l’obligation d’engager tous les 3 ans une négociation sur la mise en place d’un dispositif GPEC. Cette disposition promulguée le 18 janvier 2005, parue au Journal Officiel le 19 janvier, est finalement entrée en vigueur le 20 janvier 2005.

De ce fait, contrairement à certaines organisations syndicales, beaucoup d’établissements considéraient qu’ils avaient 3 ans, soit jusqu’au 20 janvier 2008, pour remplir leur obligation en matière de négociation triennale. Ce débat jurisprudentiel, qui aujourd’hui n’est plus vraiment d’actualité, demeure pour autant révélateur des difficultés d’articulation existantes entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi.

Tout un cortège de décisions jurisprudentielles est donc venu alimenter le débat quant à la date de mise en œuvre de l’obligation triennale, qui semble-t-il, devrait intervenir au plus vite, notamment en cas de difficultés économiques et de menaces de plan de sauvegarde de l’emploi.

9. Ainsi, dans une première affaire, communément intitulée Téfal/Seb, le TGI d’Annecy a considéré que l’employeur est tenu d’engager la négociation sur le GPEC avant un délai de 3 ans suivant la date d’entrée en vigueur de la loi. Cette position a par ailleurs été confortée par la Cour d’Appel de Versailles dans l’affaire dite Yoplait.

Pour autant, dans deux affaires similaires, NextiraOne et Ténovis , les TGI de Créteil et de Paris ont statué dans un sens contraire en préconisant l’intervention la plus rapide possible de l’employeur. En effet, dans l’affaire Ténovis, le TGI de Créteil précise qu’au regard de la finalité de l’obligation triennale, « les partenaires sociaux devaient l’organiser au plus vite ». De même, dans l’affaire NextiraOne, la Cour d’Appel de Paris confirme que la négociation relative à la GPEC devait être engagée « pour la première fois, avant cette date, soit le 20 janvier 2008, qui constitue l’échéance d’un premier délai de 3 ans depuis la promulgation du texte ».

10. Ces jurisprudences qui à l’époque ont fait couler beaucoup d’encre, sont le signe évident que, certes, la GPEC exalte les débats, mais surtout que les partenaires sociaux tentent d’établir un lien entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi. En effet, si la GPEC a été institutionnalisée le 18 janvier 2005, n’oublions pas qu’elle existait déjà sous des formes diversifiées, bien avant l’entrée en vigueur de la loi.

Dès lors, bien avant le 20 janvier 2008, il apparaît que la gestion prévisionnelle de l’emploi devait demeurer une sollicitude perpétuelle pour tout bon gestionnaire des ressources humaines soucieux d’éviter les licenciements économiques. Précisons qu’afin d’éviter tout conflit jurisprudentiel à ce sujet, il aurait certainement été opportun que le législateur précise de manière explicite, et non par le bais de délai, la date butoir de mise en œuvre de la négociation triennale.

2- Contentieux quant au caractère préalable de l’obligation triennale
11. Si aujourd’hui, le débat quant à l’effectivité de l’obligation triennale semble dépassé, la problématique quant à l’articulation de la GPEC et de la procédure de licenciement a pendant longtemps été source de conflits. Les débats semblaient guidés par la question suivante : la négociation relative à la GPEC est-elle un préalable obligatoire pour l’établissement, à la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi ? Avant la jurisprudence Serca, tant la doctrine que les tribunaux ont apporté des réponses partagées à ce questionnement.

Ces derniers distinguaient ainsi deux hypothèses et corrélativement deux questionnements. D’une part, en l’absence d’accord GPEC, l’établissement est-il tenu de négocier préalablement à la procédure de licenciement économique ? D’autre part, en présence d’un accord, une mise en œuvre « défaillante » ou « négligée » de celui-ci, peut-elle suspendre la procédure de licenciement ?

12. Dans l’hypothèse où il n’existe pas encore d’accord GPEC, les débats ont donné lieu à une effervescence jurisprudentielle, conduite par les décisions du TGI et de la Cour d’Appel de Paris dans l’affaire NextiraOne, qui considéraient que la négociation triennale constituait un préalable obligatoire aux procédures de licenciement économique.

En effet, dans un premier temps, le TGI de Paris a conclu que les articles L.320-2, L.320-3 et L.432-1-1 du code du travail traduisent dans leur ensemble « la volonté du législateur d’imposer aux entreprises une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences afin de prévenir les licenciements pour motif économique ». Dès lors, « cette obligation légale pèse sur l’employeur depuis l’entrée en vigueur de ladite loi, […] son non-respect constitue un trouble manifestement illicite ».

Dans cette affaire, les juges ont donc décidé de suspendre la procédure d’information du comité d’entreprise au titre des livres IV et III, tant que la société n’aurait pas engagé les négociations obligatoires, et mené à terme la procédure d’information consultation du CCE sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Ce jugement a dans un deuxième temps été conforté par la Cour d’Appel de Paris , qui a estimé que l’obligation de négocier est « d’autant plus impérative qu’un employeur envisage une décision susceptible d’avoir des effets sur l’emploi et que le comité d’entreprise le sollicite pour cette raison ». « La négociation sur la GPEC n’a de pleine utilité, dans une telle hypothèse, que si elle intervient avant la prise de décision sur la modification des emplois et les éventuels licenciements ».

13. Les tribunaux ont également tenté d’apporter des éléments de réponse concernant l’articulation entre les deux dispositifs en présence d’un accord. Dès lors, la problématique était la suivante : Lorsque l’accord GPEC existe déjà, l’employeur a-t-il l’obligation de le mettre en œuvre préalablement à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi ? Selon l’arrêt Cap Gemini , en présence d’un accord, la mise en œuvre de la GPEC est un préalable obligatoire à l’engagement des procédures de licenciement économique.

Dans cette affaire, les juges ont constaté la « défaillance » de la GPEC qui n’avait manifestement pas été mise en œuvre. Cette position a par ailleurs, été confirmée par le TGI de Créteil dans l’affaire Ténovis , qui considère que la GPEC doit nécessairement correspondre à « une approche constante », voire à une « négociation permanente ». En l’espèce, le tribunal a ordonné la suspension de la procédure d’information- consultation du Comité d’entreprise, au titre du livre III et IV, et précise que « la GPEC n’est pas un doublon du PSE mais tend à éviter celui-ci en comblant régulièrement par un ajustement constant, quasi-cybernétique, l’offre de qualifications aux exigences de la demande marchande ».

14. Pendant longtemps, ce courant jurisprudentiel a donc affirmé l’idée que, tant, la négociation de la GPEC , que l’information consultation annuelle du comité d’entreprise sur l’évolution des emplois et des qualifications , constituaient des préalables obligatoires à la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Cette position a par ailleurs été confortée par de nombreux commentateurs qui considéraient que le positionnement de l’ancien article L.320-2 dans le code du travail, justifiait le caractère préalable de la négociation relative à la GPEC. En effet, à l’origine, cet article L.320-2 était inséré au sein du chapitre préliminaire précédant le chapitre visant les licenciements économiques. Certains auteurs en ont déduit que la négociation sur la GPEC visée par L.320-2, et que la consultation du CE au titre de L.432-1-1, constituaient des préalables obligatoires à la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

15. Les anciens articles L.320-2 et L.432-1-1 du code du travail, sont donc facteurs de doutes et de confusions quant à l’interprétation du caractère préalable ou non de la négociation triennale. En effet, l’article L.320-2 comprend des dispositions relatives non seulement à l’obligation triennale, mais également aux accords de méthode.

Cette confusion des genres est également alimentée par l’article L.432-1-1, fondement juridique de l’affaire NextiraOne, qui rappelle que le CE « est informé et consulté sur les prévisions annuelles ou pluriannuelles et les actions, notamment de prévention et de formation, que l’employeur envisage de mettre en œuvre compte tenu de ces prévisions, particulièrement au bénéfice des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification qui les exposent plus que d’autres aux conséquences de l’évolution économique ou technologique ».

En outre, on peut constater qu’au regard de la Circulaire du 30 décembre 2005, le législateur couple GPEC et restructuration par l’intermédiaire des accords de méthode. Dans cette circulaire, il est précisé que la loi BORLOO « a pérennisé la possibilité ouverte aux entreprises de conclure des accords de méthode, permettant d’adapter les procédures d’information consultation et, le cas échéant, d’anticiper le contenu des plans de sauvegarde de l’emploi ».

16. Au regard de l’obligation générale de l’employeur d’assurer l’adaptation du salarié à l’évolution de son poste de travail, beaucoup d’auteurs considèrent également que la négociation relative à la GPEC doit effectivement être un préalable au PSE. Pour autant, il est opportun de rappeler le possible « effet pervers » d’une suspension des procédures d’information consultation des représentants du personnel dans le cadre d’un licenciement économique. Différer toute mise en œuvre du plan de sauvegarde de l’emploi pourrait ainsi conduire à altérer la situation économique de l’entreprise, ce qui bien évidemment conduirait à un effet « contreproductif ».

17. Dorénavant, le caractère distinct et autonome des deux dispositifs est affirmé par la jurisprudence. Cette consécration est l’occasion de nous intéresser aux possibles sanctions de la GPEC et notamment au vaste contentieux relatif à l’impact de l’absence de GPEC, sur la validité de la cause réelle et sérieuse de licenciement (II).

Caractère autonome de la GPEC