I- Les sanctions de la GPEC

1. En tout état de cause, si le courant jurisprudentiel mené par l’arrêt Nextiraone, tendait à établir un lien étroit entre GPEC et plan de sauvegarde de l’emploi, le communiqué de presse accompagnant les arrêts Pages jaunes, n’a fait que renforcer le doute quant à l’interdépendance des deux dispositifs.

Dans ces affaires, la question de l’impact de l’absence de GPEC sur la validité du licenciement économique était posée. Plus précisément, l’absence ou la médiocrité de la GPEC, pouvait-elle remettre en cause le caractère réel et sérieux du licenciement ? Dans ses arrêts du 11 janvier 2006 , la Cour de cassation a considéré que « la réorganisation de l’entreprise constitue un motif de licenciement économique si elle est mise en œuvre […] pour prévenir les difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leur conséquences sur l’emploi ».

Par ailleurs, dans son communiqué de presse, la Cour a précisé qu’elle s’interrogeait sur le fait de savoir si la négociation triennale ne devait pas « conduire à une approche plus rigoureuse des mesures de licenciement économique qui interviendraient par la suite, notamment lorsque la gestion prévisionnelle aura été défaillante ». Les juges semblaient donc considérer que les licenciements économiques prononcés alors que la GPEC aura été « défaillante » seraient appréciés de manière restrictive.

Ainsi que l’affirmait à cette époque Madame Marie-Laure MORIN, conseiller à la Cour de cassation, « la notion de GPEC active permet aux juges d’apprécier la notion de sauvegarde de compétitivité, et, dans le pire des cas, le licenciement ». Au regard de cette jurisprudence, dans l’hypothèse d’un licenciement économique « préventif », l’insuffisance en matière de GPEC pouvait donc constituer une sanction pour l’employeur négligeant ou de mauvaise foi, et conduire à la qualification de licenciement économique abusif. A contrario, la mise en œuvre d’une GPEC loyale et de qualité pouvait constituer un motif de licenciement économique .

2. Cette position a d’ailleurs été confortée par l’arrêt Dunlop du 21 novembre 2006 dans lequel la Cour de cassation confirme le jugement de la Cour d’appel de Riom qui considérait que la « compétitivité de l’entreprise et du secteur d’activité du groupe » autorisait la société Dunlop à adopter des mesures correctrices. En l’espèce, la réorganisation avait pour objet d’anticiper les difficultés « prévisibles » et futures de la société. En définitive, dans cette affaire « les magistrats considèrent que la GPEC a pour objet de prévenir et d’éviter les licenciements ».

Sanctions de la GPEC

3. Les arrêts Pages jaunes ont également semé le doute quant aux conséquences de l’absence de GPEC sur l’obligation de reclassement. En effet, conformément à l’article L.1233-4 du Code du travail, le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l’intéressé, sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent, ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient.

Si le juge peut qualifier le licenciement de sans cause réelle et sérieuse pour non-respect par l’employeur de son obligation de reclassement, il convient de se demander si le respect de cette obligation ne sera pas analysé plus rigoureusement en l’absence de négociation ou d’accord GPEC ? Dans la mesure où la démarche GPEC a pour objet de permettre à l’employeur d’anticiper les évolutions de l’emploi et des compétences dans l’entreprise, beaucoup considèrent que « l’obligation de reclassement s’impose, sinon comme une obligation de résultat, au moins comme une obligation de moyen renforcée ».

4. Somme toute, au regard de la jurisprudence Pages jaunes, le non-respect par l’employeur de son obligation de négocier loyalement la GPEC pourrait conduire le juge à ôter au licenciement son caractère réel et sérieux. Dès lors, nous pourrions nous interroger quant à la nature de la sanction qui pourrait accompagner ce licenciement. Si, l’octroi de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse semble évident, la nullité du licenciement et la réintégration des salariés sont au contraire peu envisageables.

En effet, dans la mesure où le législateur n’a assorti l’obligation triennale d’aucune sanction, il paraît difficile de prononcer la nullité du licenciement, ceci en vertu de l’adage « pas de nullité sans texte ». Au titre des sanctions de la GPEC, il est également possible d’envisager l’indemnisation du préjudice occasionné par le non-respect de l’obligation triennale. L’employeur serait ainsi responsable de la perte de chance du salarié, de s’adapter à l’évolution de son emploi. De ce fait, ce préjudice pourrait donner lieu à réparation sous forme de dommages-intérêts .

5. Ce positionnement jurisprudentiel des arrêts Pages jaunes semblait donc bien acquis avant l’intervention de la Cour de cassation en 2009, consacrant le caractère distinct et autonome des deux dispositifs. Il conviendra certainement d’attendre les prochains jugements en la matière afin de confirmer la position de la chambre sociale quant aux conséquences de l’absence de GPEC sur la cause réelle et sérieuse du licenciement.