Naissance de la GPEC au sens moderne du terme
L’histoire des institutions hospitalières et de la démographie médicale reflètent donc les premières images de gestion stratégique des ressources humaines en santé. Pour autant, pour apercevoir les balbutiements de la GPEC telle que nous la connaissons aujourd’hui, il convient de nous intéresser au mouvement des relations humaines, né dans les années 1930 des travaux du sociologue et psychologue Australien Georges ELTON MAYO[1].
Dépassant la vision de l’homme de TAYLOR, il mettra à l’honneur la notion de « capital humain », et démontrera que la productivité d’un travailleur dépend de sa « capacité sociale », c’est-à-dire de son adaptation et de son intégration à un groupe. Les premiers modèles rationnels de management stratégiques, intégrant à la décision, la dimension humaine, ne verront le jour que dans les années 1960, sous forme de Gestion Prévisionnelle du Personnel ou des Effectifs.
Madame Cécile DEJOUX dépeint trois « générations » au cours desquelles les entreprises Françaises se sont attachées à façonner le mécanisme GPEC. L’auteur distingue la « génération des précurseurs » de 1980 à 1990, celle des « bâtisseurs » de 1990 à 2004, et enfin celle des « intégrateurs » à partir de 2004.[2]
En effet, les premiers scénarii tangibles de Gestion Prévisionnelle des Emplois ne se sont manifestés qu’à partir des années 1980, en réponse au déséquilibre du marché de l’emploi. Dans ce contexte difficile, les entreprises ne cherchent plus uniquement à optimiser la gestion de leurs ressources humaines en période de croissance.
Elles s’attachent avant tout, à prévenir et anticiper les situations de crise, tout particulièrement dans le secteur de la sidérurgie. Cette « génération des précurseurs » verra émerger deux types de démarches. L’une dite « innovante », s’appuyant sur les pratiques RH pour flexibiliser la main d’œuvre. L’autre dite « préventive », autrement nommée GAEC[3] ou GPPEC[4], décriée comme étant une véritable « usine à gaz », complexe et difficile dans sa mise en œuvre.
La deuxième génération des « bâtisseurs » (1990-2004), porte les traces de l’instrumentalisation, et voit notamment apparaitre un arsenal d’outils techniques tels que le Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) publié par l’ANPE[5] en 1993. A cette époque, les managers de proximité se saisissent de la démarche en proposant divers entretiens d’évaluation ou modules de formation destinés à développer les compétences de leurs collaborateurs. La décennie 1990, est ainsi placée sous le signe de l’aspect qualitatif et individuel des ressources humaines. Il ne s’agit plus de s’attacher aux volumes de l’emploi, mais davantage aux compétences des individus.
La troisième « génération des intégrateurs » verra l’avènement de la GPEC comme objet de droit social, structuré sous l’égide de la loi de modernisation sociale et de la loi BOORLO. Dorénavant consacrée et légitimée, la GPEC s’émancipe pas à pas de l’univers RH et prend ainsi les allures d’un objet juridique encore mal identifié, mais dont le bien-fondé laisse présager un avenir prometteur au dispositif, imposant sa transposition au secteur sanitaire. Promise à une belle destinée, la GPEC ne semble pas laisser de marbre les acteurs du champ sanitaire qui semblent s’intéresser de près, non pas simplement au mécanisme juridique en tant que tel, mais surtout à l’opportunité stratégique qu’elle représente.
La mise en œuvre d’une GPEC dans la fonction publique est évoquée pour la première fois dans la circulaire du Premier ministre Monsieur Michel ROCARD du 23 février 1989, relative au renouveau de la fonction publique. Sans ambigüité sur le sujet, cette circulaire appelle à « mettre en place dans toutes les administrations une gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des carrières ». Elle précise que « La gestion prévisionnelle est l’instrument privilégié d’une politique de valorisation des ressources humaines car elle seule peut assurer la cohérence entre l’évolution des missions, des métiers et des qualifications et les politiques de gestion du personnel (recrutement, formation, mobilité, qualifications, promotions, etc.). »[6]
De ces travaux est née la volonté d’intégrer la GPEC au sein de la fonction publique hospitalière. En 1987, à la demande de la Direction des Hôpitaux, le CEREQ[7] va produire une étude sur l’évolution des emplois dans les services administratifs, techniques et logistiques des établissements hospitaliers, révélant la très faible qualification, l’absence de mobilité et le fort taux de mise en disponibilité de ces populations.[8]
Devant un tel constat, la Direction des Hôpitaux va décider d’accompagner les établissements en difficultés en leur proposant de nouvelles méthodes de lecture des emplois et actions de formation. Dès lors, originellement conçu pour les personnels des services généraux et techniques, le mécanisme GPEC va s’ouvrir à l’ensemble des services de l’hôpital. C’est dans ce contexte qu’est né le premier guide de « Gestion Prévisionnelle et Préventive des Emplois et des Compétences en milieu hospitalier » en 1991. Cet ouvrage réalisé par Madame Nicole RAOULT est le premier du genre traitant exclusivement de la GPEC dans le secteur sanitaire.
De nombreux textes législatifs et réglementaires relatifs au fonctionnement des établissements de santé et aux missions des cadres de santé vont largement aborder la question de la GPEC. La loi du 31 juillet 1991[9] portant réforme hospitalière va notamment réglementer la politique générale en matière de gestion des ressources humaines.
Par ailleurs, la GPEC va être intégrée au volet « ressources humaines » des contrats d’objectifs et de moyens mis en œuvre par l’ordonnance du 24 avril 1996.[10] Une étape supplémentaire sera franchie en février 1999, lorsque le manuel d’accréditation de l’ANAES[11] prévoit que tout établissement de santé doit mettre en œuvre une gestion prévisionnelle des ressources humaines. Le thème « gestion des ressources humaines » fait donc l’objet d’un référentiel complet parmi les dix que compte que ce manuel[12].
C’est dans cet esprit qu’a été conçu l’Observatoire National des Emplois et des Métiers de la Fonction Publique Hospitalière le 28 décembre 2001[13]. Missionné pour « suivre l’évolution des emplois et des métiers dans la fonction publique », « contribuer au développement d’une stratégie de gestion et prospective en matière d’emplois et de métiers », « apprécier l’évolution des métiers, des fonctions et des qualifications », et « recenser les métiers nouveaux ou émergeants et leurs caractéristiques »[14], l’observatoire va s’attacher à élaborer un répertoire des métiers à destination des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Ce travail aboutira à la publication du répertoire des métiers de la fonction publique hospitalière en 2004, point de départ à la réflexion des établissements souhaitant initier une démarche GPEC.
Ces dernières années, les évolutions technologiques, les difficultés de recrutement sur certains métiers, ou bien encore les contraintes économiques, imposent de moderniser la gestion des ressources humaines en conciliant qualité des soins et qualité de vie au travail, mais également efficience économique et performance sociale. Conscient de ces objectifs, le « Pacte de confiance pour les hôpitaux » de Madame Marisol TOURAINE, a choisi de mettre à l’honneur le dialogue social, considéré comme étant « le fer de lance de la rénovation de la démocratie sociale » et le fondement de toute démarche anticipative de gestion des ressources humaines en santé.
Parmi les 13 engagements pris pour restaurer la confiance à l’hôpital, l’engagement 10 prévoit notamment que « les ARS devront développer une vision sur les ressources humaines de leur territoire ». C’est à ce titre que Madame Chantal SINGLY a remis le 10 juillet 2014, son rapport « pour une politique régionale de développement de métiers et des compétences en santé. » Venant alimenter les travaux en cours sur le projet de loi de santé, ce rapport a notamment pour objet de : « développer au sein des projets régionaux de santé une vision stratégique partagée sur les professionnels et les compétences en santé ; accompagner les acteurs dans l’animation et la promotion des questions relatives aux emplois, métiers et compétences dans les champs sanitaire et médico-social, et promouvoir de nouvelles pratiques professionnelles et de nouveaux modes d’exercice. »
Assurément, la GPEC en santé est donc un sujet d’actualité, alimentant notamment les débats entre syndicats et DGOS[15]. Ainsi, le 26 juin dernier, évoquant la démographie des trois corps, directeur d’hôpital (DH), directeur d’établissement sanitaire social et médico-social (D3S), et directeur de soins (DS), les syndicats ont manifesté leur inquiétude quant au manque de gestion prévisionnelle des effectifs. Beaucoup dénoncent « l’état actuel des recompositions, qui se traduit trop souvent par une gestion des pénuries pour les collègues et une absence de visibilité sur la stratégie globale ».
Dès lors, les « postes vacants », « départs en retraite non remplacés », « fonte des effectifs », « conditions de travail dégradées », « situations à risques psycho-sociaux », « burn-out », ou « mauvaises anticipations des mutations », sont autant de « conséquences négatives » découlant de l’absence de gestion prévisionnelle des métiers et des compétences[16].
[1] Georges ELTON MAYO est considéré comme étant l’un des pères fondateurs de la sociologie du travail.
[2] C. DEJOUX, Gestion des compétences et GPEC, 2008-2009, DUNOD, Paris 2008, p. 45-50.
[3] Gestion Anticipative des Emplois et des Compétences.
[4] Gestion Prévisionnelle et Préventive des Emplois et des Compétences.
[5] Agence Nationale Pour l’Emploi.
[6] L’exigence d’une gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences s’affirmant avec force, le ministère de la fonction publique va concevoir en 2001, un guide méthodologique « gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences », destiné à « anticiper l’avenir, (…) pour garantir l’efficacité des administrations publiques, pour optimiser la gestion des ressources humaines et assurer aux agents des déroulements de carrière valorisants ». Guide de gestion prévisionnelle des Effectifs, des Emplois et des Compétences DGAFP Juin 2001, p. 5.
[7] Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications.
[8] N. RAOULT, Gestion Prévisionnelle et Préventive des Emplois et des Compétences en milieu hospitalier, éd. l’Harmattan, 1991, Préambule, p. 16.
[9] Loi n°91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière.
[10] Ordonnance n°96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée. Cette ordonnance rend obligatoire la signature avec les Agences Régionales d’Hospitalisation de contrats d’objectifs et de moyens.
[11] Agence Nationale d’Accréditation des Etablissements de Santé.
[12] L’ordonnance n°96-346 du 24 avril 1996 impose à chaque établissement de santé de s’engager dans une démarche d’accréditation d’ici 2001.
[13] L’Observatoire National des Emplois et des Métiers de la Fonction Publique Hospitalière a été crée par le décret n°2001-1347 du 28 décembre 2001. Il sera officiellement installé le 17 avril 2002.
[14] O. DERENNE, A. LUCAS, Manuel de gestion des ressources humaines dans la fonction publique hospitalière, Vol. 2, Le développement des ressources humaines, éd. ENSP, p. 30.
[15] Direction Générale de l’Offre de Soins.
[16] HOSPIMEDIA, Les syndicats de directeurs s’inquiètent de l’absence de gestion prévisionnelle de leurs corps, 27 juin 2014. http://www.hospimedia.fr/actualite/articles/20140627-ressources-humaines-les-syndicats-de-directeurs-s-inquietent.