Prémices et consécration
- La GPEC s’est progressivement imposée en matière sanitaire comme un impératif de gestion favorisant le développement et la modernisation de ces établissements. Reconnue dans le secteur public en 1989, par la circulaire ROCARD dite « de modernisation du secteur public », préconisant de « passer d’une gestion exclusivement sanitaire à une gestion plus centrée sur les métiers et les compétences », la GPEC s’est étoffée dans le milieu hospitalier grâce à de nombreuses mesures et notamment grâce au décret du 28 décembre 2001 créant l’observatoire national des emplois et des métiers.
- Si le secteur de la santé a marqué son attachement à cette démarche, les véritables origines de la GPEC sont bien plus anciennes et émergent dans le monde de l’entreprise industrielle, dans un contexte de fortes restructurations, favorisant la création de lois protectrices contre les licenciements économiques et incitant les partenaires sociaux à anticiper les difficultés économiques. Les prémices de la GPEC apparaissent donc en droit du travail, à travers le développement des attributions économiques du comité d’entreprise (CE), instance de concertation primordiale au sein de toute entreprise, permettant d’informer le personnel des difficultés économiques et d’anticiper les restructurations. Le droit social communautaire s’est également emparé du sujet en mettant en œuvre une véritable politique communautaire d’anticipation des restructurations. Somme toute consacrée en droit français par la loi BORLOO de 2005, la GPEC n’a cessé de se développer par diverses mesures et Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI) s’imposant ainsi au champ de la santé. Afin de retracer « les chemins de la GPEC[1]», nous nous attacherons aux prémices (§1) et à la consécration de la notion (§2).
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1- Les prémices de la GPEC
- La GPEC n’est pas née « ex nihilo[2]», elle est le fruit de nombreuses esquisses, et de réformes juridiques permettant d’en dessiner graduellement les contours et les implications. Reconnue comme étant « une préoccupation qui vient de loin[3] », elle a fait l’objet de toutes les attentions du législateur français et européen avant d’être consacrée par la loi BORLOO en 2005. Afin de mieux cerner le contenu de la notion, il convient de nous attacher à l’étude des balbutiements de la GPEC, et par là même, de jeter un regard en amont dans le droit français (I) et européen (II).
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Les prémices de la GPEC en droit français
- Le développement de la littérature et des débats d’experts autour de la GPEC, soulignent le regain d’intérêt porté à cette notion, qui plus qu’un concept « à la mode », est le fruit d’une lente évolution historique et législative. Apparues dans l’ordonnance de 1945, les cellules embryonnaires d’une gestion anticipative de l’emploi se sont étoffées, notamment grâce à l’ANI de 1969. 20 ans plus tard, la GPEC verra finalement émerger ses lettres de noblesse avec la loi du 2 août 1989. In fine, la loi de modernisation sociale de 2002, étape cruciale dans la métamorphose de la notion, viendra sonner le glas d’une simple incitation à une gestion concertée de l’emploi, pour initier une véritable obligation d’anticipation et de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Afin d’appréhender au mieux les origines et la progression législative de la notion, il convient de se référer aux différentes étapes de construction de la GPEC, de l’incitation-concertation, à l’obligation-sanction[4]. Nous constaterons que le législateur a d’abord fait de la GPEC un objet de consultation (A), avant d’en faire une source de sanction (B).
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La GPEC, objet de consultation
- La GPEC constitue une notion juridique ambiguë voire mal définie, mais paradoxalement déjà ancienne. Ainsi que le précisait Monsieur Frédéric BRUGGEMAN[5], « la GPEC ne date pas d’hier ! ». Les historiens du droit de l’emploi retraçant la « carrière » de la notion, déterminent sa genèse par l’ordonnance du 22 février 1945[6], modifiée[7] par la loi de 1946[8], créant les comités d’entreprise. En effet, l’ordonnance de 1945 marque une volonté de créer une « coopération entre la direction et les représentants du personnel ». Elle lui confère ainsi des attributions économiques telles que le comité devait être « obligatoirement informé des questions intéressant la marche générale de l’entreprise », et notamment « sur les mesures de nature à affecter le volume et la structure des effectifs ». La loi du 16 mai 1946, quant à elle, élargit les attributions économiques du comité en ajoutant à l’obligation d’information, la consultation sur la marche générale de l’entreprise. L’émergence du « statut moderne[9] » du CE, constitue ainsi l’un des premiers balbutiements du droit français en matière d’anticipation et de conséquences sur l’emploi.
- Quelques années plus tard, l’accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 1969[10] précisait que « les entreprises doivent s’efforcer de faire des prévisions de façon à établir les bases d’une politique de l’emploi. Lorsqu’elles entreprennent des opérations de fusion ; de concentration, elles doivent intégrer des incidences prévisibles en ce qui concerne l’emploi et préparer des solutions permettant de réduire les éventuels licenciements, notamment par un effort de formation facilitant les mutations internes ». L’accord du 10 février 1969 tentait donc déjà d’anticiper, voire d’ « amortir les effets sociaux des restructurations[11]». Un avenant à l’accord national interprofessionnel [12], fera d’ailleurs référence à la notion de « plan social[13] », précurseur du plan de sauvegarde de l’emploi, dont l’objet est de regrouper l’ensemble des mesures prises par une entreprise au moment d’un licenciement collectif économique, et destinées au reclassement des salariés licenciés.
- Le processus de développement de la GPEC s’est donc déroulé dans un contexte législatif de restructuration, de réforme du droit du licenciement et de renforcement des attributions économiques du CE. La loi du 3 janvier 1975[14] relative aux licenciements pour causes économiques instaure ainsi, une obligation d’information et de consultation du CE en cas de licenciements économiques collectifs, et met en œuvre une autorisation administrative de licenciement ayant pour objet de vérifier le respect de la procédure et la portée du plan social. Les lois « Auroux » de 1982[15], réformant le droit du travail[16], viendront également offrir des garanties aux salariés en renforçant les attributions économiques du CE. Monsieur Jean AUROUX précisera à ce sujet que « le CE est l’institution désignée historiquement et pratiquement pour bénéficier des dispositions qui permettent d’agir en ce domaine [économique][17]».
- L’année 1986, sera également déterminante dans l’évolution du droit du licenciement économique, dans la mesure où la loi du 3 juillet 1986[18] supprimant partiellement l’autorisation administrative de licenciement, sera complétée par l’accord national interprofessionnel du 20 octobre 1986[19] sur l’emploi, instituant des conventions de conversion offertes aux salariés licenciés. Cet accord précisera d’ailleurs que le CE doit être informé par écrit « des raisons économiques, financières ou techniques […] de l’importance des licenciements envisagés et des catégories professionnelles concernées[20]».
- L’évolution de la définition des attributions économiques du CE constitue donc une approche embryonnaire de la gestion prévisionnelle de l’emploi. Cependant, La notion ne s’est véritablement développée qu’à travers la loi du 2 août 1989 relative à la prévention du licenciement économique et au droit de conversion[21]. Celle-ci contient une obligation d’informer et de consulter le CE sur l’évolution et les prévisions annuelles ou pluriannuelles de l’emploi et des qualifications, destinée en priorité aux salariés les plus exposés « aux conséquences de l’évolution économique ou technologique[22]». Les sigles G.P.E, G.P.E.Q ou G.P.E.C commencent à faire leur apparition, et prennent ainsi tout leur sens. La consultation sur les prévisions annuelles ou pluriannuelles de l’emploi et des qualifications évolue pas à pas, vers un véritable devoir de l’employeur, sanctionné par les juges de l’ordre social (B).
La GPEC, source de sanction
- L’obligation d’adapter le salarié à son poste de travail, compte tenu notamment de l’évolution de l’emploi et des technologies, constitue la pierre angulaire de l’obligation d’anticiper et de gérer de manière prévisionnelle l’emploi et les compétences dans l’entreprise. Quelques années avant la loi Aubry II, la Cour de cassation précisait déjà dans l’arrêt « Expovit » de 1992[23] que « l’employeur tenu d’exécuter de bonne foi le contrat a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi ». A défaut, le licenciement pour motif économique serait privé de cause réelle et sérieuse. La chambre sociale de la cour de cassation allait même jusqu’à préciser en 2001[24], qu’en cas de nécessité, l’employeur est tenu de proposer aux salariés une formation complémentaire de nature à leur permettre de conserver leur emploi dans l’entreprise.
- Véritable pierre à l’édifice, la loi Aubry II du 19 janvier 2000[25] viendra consacrer ce courant jurisprudentiel en introduisant dans le code du travail, une obligation d’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois, par des actions de formation. Ainsi, l’article L.321-1 précise que « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise ». Par cette réforme, le législateur marque sa volonté de faire de la gestion prévisionnelle des ressources humaines, une obligation fondamentale, et indispensable à toute procédure de licenciement pour motif économique.
- La loi de modernisation sociale établira également un lien étroit entre l’obligation d’adaptation et le droit à la formation professionnelle, et rappelle notamment que « l’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation de ses salariés à l’évolution de leurs emplois[26]».
- Ces dispositions seront complétées par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle et au dialogue social, dont les dispositions créeront à la charge de l’employeur l’obligation de « veiller au maintien de l’employabilité de ses salariés[27]». L’article L.930-1 franchira ainsi une étape supplémentaire en mentionnant que l’employeur doit veiller « au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».
- Véritable obligation de portée générale, l’obligation de veiller à l’adaptation et au maintien de l’employabilité des salariés de l’entreprise, est désormais source de sanction pour l’employeur, susceptible de voir ses licenciements privés de cause réelle et sérieuse, ou frappés de nullité. En effet, conformément à l’article 112 de la loi de modernisation sociale[28], dans l’hypothèse d’un licenciement économique collectif[29], « l’employeur doit établir et mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité ». La procédure de licenciement est nulle et de nul effet, tant qu’un plan visant au reclassement de salariés s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’a pas été présenté aux représentants du personnel. La nullité entraînant par la force des choses, la réintégration des salariés licenciés, ainsi que le versement des indemnités afférentes.
- Si la notion de GPEC s’est développé à travers les dispositions du droit du travail et notamment du droit du licenciement économique, le droit social communautaire a également contribué à sa construction juridique.
[1] S. BELLINI, (2009), Les chemins de la GPEC. Les enseignements d’une recherche-intervention sur l’appropriation de la démarche GPEC dans le secteur médico-social, Actes du XXe Congrès de l’AGRH, Toulouse, septembre, France.
[2] Expression latine signifiant à partir de rien.
[3] Anticiper et concerter les mutations. Rapport de Monsieur Henri ROUILLEAULT, administrateur de l’INSEE, directeur général de l’ANACT. Quelques temps après la promulgation de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005, messieurs les ministres Jean-Louis BORLOO et Gérard LARCHER ont confié la mission à Monsieur Henri ROUILLEAULT d’établir un rapport « faisant état des lieux des bonnes pratiques de négociation et de mise en œuvre, des difficultés rencontrées et des différentes préconisations opérationnelles ».
[4] Maître T. PROFIT, Directeur associé FIDAL. GPEC : de l’incitation-concertation à l’obligation-sanction. http://www.e-rh.org.
[5] Frédéric BRUGGEMAN est directeur du cabinet de conseil « Amnyos Mutations Economiques ». Il s’est intéressé à l’évolution historique de la GPEC ainsi qu’à l’émergence de la GPECT.
[6] Ordonnance du 22 février 1945, JO 23 février, J-P. LE CROM, Une révolution par la loi ? L’Ordonnance du 22 février 1945 sur les comités d’entreprise, in Deux siècles de droit du travail, sous la dir. de J.-P. LE CROM, Editions de l’atelier, 1998, p. 165 ; D. PEPY, Les comités d’entreprise. L’ordonnance du 22 février 1945, Droit social, 1945, p. 46 ; J. MOTTIN, Les comités d’entreprise. Etude de l’ordonnance du 22 février 1945, JCP, 1945,I, 470.
[7] Bien que l’ordonnance du 22 février 1945 soit à l’origine de la création du comité d’entreprise, il serait plus pertinent de faire référence à « l’ordonnance de 1945, modifiée par la loi du 16 mai 1946 » pour déterminer le fondement textuel des attributions économiques du comité d’entreprise. V. FRANCONI. Thèse de doctorat en droit, université Lumière Lyon 2, L’actualité des attributions économiques du comité d’entreprise en matière économique.
[8] Loi n° 46-1065 du 16 mai 1946 tendant à modifier l’ordonnance du 22 février 1945, JO 17 et 23 mai.
[9] M.COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 7ème édition, 2003, p.48.
[10] Y. DELAMOTTE, L’ANI sur la sécurité de l’emploi du 10 février 1969, Dr.soc. 1969, p.498.
[11] J-E. RAY, Avant-propos, pour des restructurations socialement responsables, Dr.soc. mars 2006, p. 249 à 259.
[12] Avenant daté du 21 novembre 1974.
[13] Mis en œuvre par la loi « Soisson » du 2 août 1989, le plan social est aujourd’hui désigné plan de sauvegarde de l’emploi.
[14] Loi n° 75-6 du 3 janvier 1975 sur les licenciements économiques.
[15] Lois Auroux : loi du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, loi du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, loi du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail, loi du 23 décembre 1982 relative au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
[16] J. AUROUX, Un nouveau droit du travail ?, Droit social, 1983, p. 3.
[17] J. AUROUX, Les droits des travailleurs, Rapport au Président de la République et au Premier Ministre, La Documentation française, 1982.
[18] Loi n°86-797 DU 3 juillet 1986 parue au JO du 4 juillet 1986 n° 86-797 du 3 juillet 1986. H. ROUILLEAULT, op.cit. Selon l’auteur, la suppression de l’autorisation administrative de licenciement n’aura pour conséquences, ni l’augmentation des emplois, ni l’augmentation des licenciements. En revanche, cela induira un accroissement du contrôle judiciaire.
[19] In bulletin officiel des conventions collectives, n°86/47 du 24/12/1986, pp. 40-55.
[20] H. ROUILLEAULT, op.cit.
[21] Loi n°89-549 du 2 août 1989.
[22] Art. L.2323-56 c. travail (anciennement L.432-1-1).
[23] Cass. Soc. 25 février 1992, société Expovit c/ Dehaynain, Bull. V, n° 122. La Cour de cassation considère que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation d’adaptation « en supprimant un poste de responsable du fichier client informatique mais engagé au même moment une facturière alors qu’il avait la possibilité de reclasser la salariée licenciée dans cet emploi compatible avec ses capacités ».
[24] Cass. Soc. 3 avril 2001, Liaisons Sociales, Jurisprudence Hebdo n° 714 du 17 avril 2001.
[25] Loi n°2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, dite Aubry II.
[26] Art. L.932-2 c. travail.
[27] Liaisons Sociales, Jurisprudence Hebdo n° 254 / 2007 du 8 novembre 2007.
[28] Art. L.321-4-1 c. travail.
[29] Lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix dans une même période de trente jours.