Une démarche d’anticipation au cœur du changement pour les ressources humaines

1. La gestion des compétences s’inscrit dans une logique de consensus, réunissant tant les objectifs de l’établissement que ceux des ressources humaines. Ainsi, la flexicurité répond aux aspirations de l’établissement en matière de flexibilité de main d’œuvre, mais également aux attentes de sécurité de l’emploi des salariés, à travers notamment, l’individualisation des parcours de formation.

La démarche GPEC conduite par l’établissement devra donc s’adapter aux changements d’attitude de ces « nouveaux salariés », acteurs actifs de leur trajectoire professionnelle. En effet, selon Monsieur Jacques IGALENS, la GPEC suppose « l’appropriation de ses résultats par les salariés ». Cette nouvelle responsabilisation du salarié, parfois qualifiée d’ « engagement », d’ « implication » ou de « responsabilisation partagée » consacre un nouveau rapport établissement-professionnel. Le contrat de travail, fondé sur la notion de subordination juridique évolue progressivement et se mue en une nouvelle relation salariale fondée sur la « co-responsabilité ».

Si la GPEC représente un enjeu fondamental en termes d’employabilité et de sécurisation des parcours professionnels, elle représente également un enjeu décisif pour la politique de GRH menée par l’établissement. Pour maintenir sa compétitivité l’établissement doit être en mesure de mener une politique axée sur quatre mots d’ordres : des ressources humaines « disponibles », « mobilisées », « efficientes » et « adaptables ». Cette analyse nous permettra d’en conclure que pour mener à bien une démarche GPEC en établissement de santé, il convient d’« anticiper les évolutions », « faire face aux besoins », et de « prendre en compte les aptitudes et aspirations individuelles ».

1- Une démarche d’anticipation nécessaire pour les ressources humaines

2. Le développement des compétences des salariés, maîtres de leur trajectoire professionnelle, constitue un véritable enjeu que ne pourra ignorer la direction des ressources humaines. En effet, « dans l’idée de compétence, il y a une idée supplémentaire par rapport à celle de qualification. C’est l’idée de responsabilisation du salarié à l’égard du résultat ». Cette responsabilisation du salarié, acteur de la démarche, sera d’ailleurs porteur de conséquences d’un point de vue juridique, en matière de droit de la formation professionnelle, et en matière de contrat de travail.

I- La responsabilisation du professionnel, acteur de la démarche

3. Si l’établissement est souvent perçu comme la pièce motrice de la GPEC, une telle démarche représente également une formidable opportunité pour les professionnels, devenus des « acteurs » moteurs du dispositif. En effet, que ce soit en termes de « développement professionnel », de « sécurisation et d’employabilité », « d’information », de « reconnaissance » ou « d’utilisation de ses droits », le professionnel est amené à constater les multiples enjeux de cette démarche, concourant à « l’épanouissement des talents ».

L’enjeu de la GPEC ne réside donc pas simplement dans le fait de se projeter dans le futur, mais plutôt dans la capacité des professionnels à développer une confiance individuelle permettant de bien aborder et conduire les évolutions ou les ruptures .

4. La démarche GPEC va ainsi permettre au professionnel, de développer des trajectoires individuelles, en proposant des parcours professionnels valorisants. Le salarié pourra donc être à même d’analyser les changements et évolutions qui impactent la filière sanitaire ou médico-sociale, ainsi que ses métiers. A partir de ce constat, il pourra établir un projet professionnel propre, ainsi qu’un parcours professionnel individualisé, lui permettant éventuellement, de saisir des opportunités de mobilité positive.

Une telle démarche offre également des garanties au professionnel salarié, en termes d’employabilité et de sécurisation des trajectoires professionnelles. L’employabilité constitue en effet, « un mode de gestion susceptible de faire évoluer les compétences des salariés, et ainsi de leur assurer une attractivité permanente sur le marché du travail ».

En définitive, une démarche GPEC doit offrir au professionnel un accompagnement dans le développement de ses compétences, lui permettant ainsi d’obtenir une visibilité des métiers à court et moyen terme. La démarche peut également avoir pour vocation de valoriser la reconnaissance des différents âges de la vie professionnelle, et de facilité l’utilisation d’outils juridiques tels que le droit individuel à la formation.

5. La démarche initiée par l’établissement de santé vient donc s’inscrire dans une « logique compétence », marquant l’émergence d’un véritable « droit à la compétence professionnelle », du salarié, acteur de l’évolution de son savoir-faire dans l’établissement. Tout l’enjeu pour l’établissement, réside donc dans sa capacité à valoriser la compétence des individus, afin qu’ils deviennent les protagonistes avisés de leur parcours professionnels .

Ce phénomène d’ « individualisation de la relation de travail », marque une « évolution du rapport salarial », et se traduit même parfois un « report partiel des attributs patronaux sur le salarié ». Professionnel salarié et établissement ont aujourd’hui de nouveaux « engagements réciproques », opposant « l’employabilité à la performance ».

Certains voient dans cette employabilité du salarié « bâtisseur de son projet professionnel », une « responsabilisation individuelle face au chômage ». L’article 6§3 de l’Accord National Interprofessionnel du 23 janvier 2008, met d’ailleurs en exergue ces nouveaux salariés, acteurs de leur parcours professionnel, en précisant que pour permettre à ces derniers « d’être acteurs de leur déroulement de carrière et favoriser leur engagement dans le développement de leurs compétences et de leur qualification, il convient qu’ils puissent disposer d’outils susceptibles de les aider dans la construction de leurs parcours professionnel ».

Le salarié bénéficie donc d’outils juridiques lui permettant de rester maître de son employabilité, parmi lesquels on distingue l’entretien d’évaluation, ou bien encore la mobilité professionnelle. Beaucoup d’accord GPEC considèrent d’ailleurs cette mobilité comme un « acte de responsabilité normal et partagé qui s’impose tant à l’entreprise qui se doit de rechercher des solutions, qu’aux salariés qui souhaitent poursuivre leur carrière au sein de l’entreprise ». Le professionnel protagoniste de la démarche GPEC, est donc tenu de se former et de prendre en main sa carrière professionnelle. Même si l’établissement est présent pour l’accompagner, ce dernier demeure responsable de son évolution professionnelle .

6. Cette responsabilisation du professionnelle aura certainement des conséquences juridiques en termes de droit à la formation et de modification du contrat de travail, qu’il est opportun d’analyser.

II- La portée juridique de cette responsabilisation

7. La responsabilisation du salarié, acteur de la démarche GPEC, et décideur quant au déroulement de son parcours professionnel, a des incidences juridiques non négligeables, s’agissant des conditions de déroulement de la formation professionnelle, et s’agissant des conditions d’exécution du contrat de travail. Nous envisagerons donc la portée juridique de cette responsabilisation en matière de droit à la formation (A), et en matière de contrat de travail (B).

A- En matière de droit à la formation

8. Si la démarche GPEC représente un enjeu fondamental pour le professionnel salarié, acteur actif de sa trajectoire professionnelle, il convient de s’interroger quant à la portée d’une telle responsabilisation, notamment en matière de formation. En effet, si le salarié est responsable de son parcours professionnel, a-t-il l’obligation de prendre en charge tout ou partie des coûts liés à la formation professionnelle ?

La responsabilisation du salarié, dans un climat d’individualisation de la relation de travail, peut-elle conduire à un « transfert de tout ou partie d’une charge, telle qu’une formation, de l’employeur vers le salarié ? ». Les dispositions du Code du travail, orientent visiblement les débats vers la notion d’investissement partagé.

En effet, le Code du travail prévoit que le salarié doit prendre l’initiative de sa demande de DIF, ou de formation lui permettant de progresser d’au moins un niveau au cours de sa vie professionnelle . Par ailleurs, il autorise que les actions de formation ayant pour objet le développement des compétences se déroule hors temps de travail , alors même que les actions de formation visant à adapter les salariés à leur poste doivent se dérouler sur du temps de travail effectif. Si le professionnel est l’auteur responsable de son parcours professionnel, alors, peut-être faut-il considérer que cette responsabilité partagée doit conduire à un « co-investissement », répondant « à un impératif d’équilibre entre les concessions mutuelles ».

9. Il convient également de s’interroger quant au refus ou au défaut d’initiative du salarié en matière de formation professionnelle. Existe-t-il une obligation du salarié relative à la formation professionnelle, similaire à l’obligation de santé et sécurité des travailleurs ? Au regard des textes et de la jurisprudence, il n’existe pas à proprement parler, d’obligation du salarié de développer ses compétences et son employabilité.

En revanche, ce dernier a le devoir d’accepter des formations qui l’adaptent à son poste de travail. Le refus ou le défaut d’initiative du salarié pourrait également conduire l’employeur à prononcer à son égard, un licenciement pour insuffisance professionnelle. L’employeur de son côté, n’est pas tenu d’accorder des formations qui participent au développement des compétences, ni même d’assurer la formation initiale du salarié. En revanche, il a pour devoir de gérer de manière anticipée les compétences des salariés.

10. Pour conclure, une question subsiste quant à la transférabilité des compétences du salarié. Une compétence peut-elle faire l’objet d’un transfert à l’occasion d’un transfert d’entreprise, ou bien dans le cadre de la sécurisation des parcours professionnels ? A priori, la réponse est négative, car une compétence est par nature « un état évolutif et précaire » que l’on ne peut mesurer que dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.

Cependant, conformément à l’Accord National Interprofessionnel du 23 janvier 2008, s’agissant de la VAE, du passeport formation, ou pourquoi pas du bilan de compétence, la « formalisation des acquis en matière de compétences et de qualifications, (…) doit contribuer à favoriser l’évolution professionnelle des salariés ». De tels outils de mesure de compétences pourraient ainsi être valorisés à l’occasion d’un transfert d’entreprise.

11. Si la responsabilisation du salarié est source de nombreux questionnements quant à la mise en œuvre du droit à la formation, un certain nombre de problématiques restent également à éclaircir, quant aux conditions d’exécution du contrat de travail.
B- En matière de contrat de travail
12. Depuis la loi du 16 juillet 1971 , le départ en formation du salarié s’inscrit dans le cadre du contrat de travail, articulé autour du lien de subordination juridique. Le droit à la formation apparaît ainsi comme étant un droit individuel et contractuel.

13. En effet, en vertu de l’article L.6321-8 du Code du travail, lorsque le développement des compétences se déroule hors temps de travail, établissement et salariés définissent avant le départ en formation, la nature des engagements, dès lors que l’intéressé aura suivi avec assiduité la formation et satisfait aux évaluations prévues. Les éléments du contrat de travail, tels que le lieu, la rémunération ou la qualification peuvent ainsi subir des modifications du fait de la formation.

Il est donc important de consigner les engagements réciproques des parties avant le départ en formation.

Cependant, il convient de garder à l’esprit que l’accord du salarié antérieurement à son départ ne suppose nullement toute acceptation des modifications résultantes de la formation obtenue. Ainsi, la jurisprudence considère que la qualification constitue un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifiée sans l’accord du salarié formé . L’employeur ne peut donc modifier les tâches des salariés, que dès lors que celles-ci correspondent à leur qualification .

14. La mise en œuvre d’une démarche GPEC pourra donc impacter un certain nombre d’éléments essentiels du contrat de travail, tels que le lieu ou la rémunération. Dans ce cadre, il convient de se demander si la GPEC constitue un « motif imposé » de modification du contrat de travail. En effet, une partie de la doctrine considère que la GPEC pourrait être à l’origine d’un « forçage » ou d’un dépassement du contrat. Accepter une formation conduirait à accepter toutes les conséquences qui pourraient en résulter. Dans le cadre de ce co-investissement ou de cette réciprocité, le salarié devrait accepter les modifications de son contrat de travail, en contrepartie de l’effort produit par l’employeur pour maintenir l’emploi. Une demande de mobilité, initiée par l’établissement dans le cadre d’une GPEC, « serait une obligation qui relèverait du statut collectif et non du consentement du salarié dans le contrat de travail ». Monsieur G. VACHET propose ainsi de raisonner par rapport à l’origine de la modification, et non par rapport à l’élément modifié.

15. En dépit de ces courants doctrinaux, la législation actuelle ne semble pas s’orienter vers un dépassement du contrat. Le Code du travail précise en effet, que dans le cadre de l’article L.5121-4 , l’accord du salarié est indispensable lorsqu’une entreprise envisage un reclassement externe.

En outre, s’agissant de la mobilité géographique souhaitée par les entreprises au regard de leurs besoins en ressources humaines, l’Accord National Interprofessionnel du 23 janvier 2008 prévoit qu’elles doivent rechercher des mesures d’accompagnement, dans le cadre d’une anticipation du changement ou d’une restructuration, au bénéfice des salariés et de leur famille. L’accord envisage également, afin de sécuriser les mobilités, la mise en place d’une « période expérimentation mobilité » permettant au salarié de découvrir son nouvel emploi, et prévoyant les conditions dans lesquelles l’intéressé pourrait revenir dans l’entreprise si le nouvel emploi ne lui convenait pas.

L’ensemble de ces mesures visant à accompagner le salarié dans la mobilité ne semblent donc pas s’inscrire dans une logique de modification imposée ou subie du contrat de travail.

16. La modification du contrat de travail du fait de la GPEC, nous amène progressivement à établir une filiation entre GPEC et procédure de licenciement pour motif économique. En effet, si l’évolution jurisprudentielle considérait dans l’avenir, que la mise en œuvre d’une GPEC constitue un préalable obligatoire à toute procédure de licenciement pour motif économique, nous pourrions certainement envisager la GPEC comme « un motif légitime d’évolution du contrat de travail, imposé au salarié ». L’établissement pourrait ainsi procéder à des suppressions de postes en évitant la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Toutefois, la jurisprudence actuelle ne semble pas s’orienter vers ce schéma. Depuis le célèbre arrêt « Pages Jaunes » il semble en effet que la GPEC, peut justifier des licenciements économiques pour sauvegarder la compétitivité de l’établissement.

17. Si la démarche GPEC, initiée par l’établissement de santé, représente donc une avancée sociale pour les ressources humaines, tant en termes d’employabilité que de sécurisation des parcours professionnels, l’impératif GPEC semble également s’imposer à la politique de gestion des ressources humaines.