Le risque accru de requalification du contrat d’exercice libéral en contrat de travail

Bien que le contrat d’exercice libéral soit une forme possible de contrat existante au sein des établissements médico-sociaux, ces derniers ont de moins en moins recours à ce type de contrat en raison du risque accru de requalification de la part de certaines Unions de Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocation Familiale (URSSAF).

En effet, il existe un risque très important de requalification du contrat d’exercice libéral sous l’impulsion de certaines URSSAF, qui revendiquent la requalification de l’exercice du médecin en exercice salarié, en se fondant sur les dispositions de l’article L.311-2 du Code de sécurité sociale, et ce pour leur réclamer les arriérés de cotisations au régime général de la sécurité sociale.

La jurisprudence retient un certain nombre d’indices permettant de requalifier ou non le contrat unissant le médecin à l’établissement. Ainsi, la régularité et la permanence de l’activité du médecin[1], le paiement direct des honoraires au médecin[2], l’existence ou non de feuille de soins au nom du médecin, ou la possibilité pour lui de fixer lui-même sa rémunération[3], sont autant d’indices permettant de requalifier le contrat en exercice salarié.

La Cour de cassation retient également le critère du pouvoir de sanction et de contrôle de la direction, et décide qu’ « est salarié le médecin d’un groupe d’assurances qui intervient à la demande du groupement et est soumis aux directives de ce dernier[4] ». Par ailleurs, le critère de la subordination économique, c’est-à-dire la présence ou l’absence de clientèle personnelle est pris en considération pour évaluer la requalification du contrat[5].

Précisons, que certains médecins s’estimant placés en situation de subordination, sollicitent eux même leur statut de salarié, et ce de manière à ce que la rupture du contrat soit analysée  par les juges comme une rupture du contrat de travail rompu aux tords exclusifs de l’employeur[6].

Cette jurisprudence actuelle, tendant à requalifier les contrats d’exercice libéraux dès le moindre indice laissant supposer un lien de subordination, n’encourage pas la conclusion de ce type de contrat au sein des établissements médico-sociaux. Le recours au contrat d’exercice libéral n’est donc possible que de manière très ponctuelle dans la mesure où lorsque le médecin intervient à la demande de l’établissement, de manière pérenne, et que c’est l’établissement qui organise les venus du médecin à se demande et pour ses usagers, il y a requalification du contrat par l’URSSAF.

Suite au contrat d’exercice libéral, il convient de nous intéresser à une autre forme de contrat conclu au sein des établissements médico-sociaux : le contrat de travail (§II).

Le contrat de travail [7]

La qualification de contrat de travail, fait naître l’application du droit du travail ainsi que du droit de la sécurité sociale au professionnel de santé. Trois éléments cumulatifs sont nécessaires pour que la relation de travail soit qualifiée de relation salariée : Une prestation personnelle de travail, l’existence d’une rémunération, et un lien de subordination juridique.

La subordination juridique s’exerce sur la prestation de travail elle-même et sur son exécution. Beaucoup de métiers contiennent des tâches pour lesquelles le salarié bénéficie d’une grande indépendance technique à l’égard de son employeur, ce qui peut jeter le doute sur l’existence d’une subordination juridique. Ainsi, doit-on considérer qu’un médecin jouissant d’une grande indépendance technique, n’est pas salarié ? La réponse est négative, car c’est l’état de subordination qui est le critère du contrat de travail, et non l’apparente insubordination.

Pendant longtemps, la jurisprudence considérait que le simple fait de travailler au sein d’un service organisé unilatéralement et sous la responsabilité de l’employeur caractérisait l’existence d’un lien de subordination juridique[8]. Cependant, depuis l’arrêt Société Général du 13 novembre 1996, le service organisé n’est plus un critère, mais un simple indice du lien de subordination juridique.

Dorénavant, le lien de subordination juridique répond à une définition objective et « est caractérisé par l’exécution d’un travail, sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives (pouvoir de direction), d’en contrôler l’exécution (pouvoir de contrôle) et de sanctionner les manquements de son subordonné (pouvoir disciplinaire) ». Le professionnel de santé s’inscrivant dans cette relation sera donc soumis, en vertu d’un contrat de travail, à un lien de subordination juridique à l’égard de l’établissement médico-social.

Conformément aux dispositions réglementaires du Code de santé publique, le praticien hospitalier est également amené à être détaché au sein de ces structures.

Le praticien hospitalier détaché [9]

En vertu de l’article L.6152-1 du Code de santé publique, sont considérés comme des praticiens hospitaliers les médecins, odontologistes et pharmaciens dont le statut est établi par voie règlementaire, ainsi que les praticiens contractuels[10].

Conformément à l’article R.6152-51 du Code de santé publique, ces praticiens hospitaliers peuvent être placés en position de détachement dans un établissement de santé privé à but non lucratif.

Cependant, afin de tenir compte des modifications introduites par la loi HPST du 21 juillet 2009, le décret n°2010-1141 du 29 septembre 2010, a modifié les règles statutaires relatives aux praticiens  hospitaliers. On constate donc un certain durcissement des conditions de détachement du praticien hospitalier dans les établissements privés non lucratifs (I). Ceci a d’ailleurs un impact direct sur les établissements de psychiatrie accueillant des praticiens hospitaliers (II).

Le durcissement des conditions de détachement du praticien hospitalier dans les établissements privés non lucratifs

Le décret du 29 septembre 2010, maintien la possibilité de détacher des praticiens hospitaliers dans les établissements de santé privés à but non lucratif. Cependant, le texte ne fait pas explicitement référence aux établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), mais fait mention d’ « établissement de santé privé chargé d’une ou plusieurs des missions de services public définies à l’article L.6112-1 ». Le détachement devient donc impossible au sein d’un ESPIC n’exerçant pas de mission de service public. Des établissements tels que « L’Elan retrouvé »« Nouvelles Forges »« SPASM »« Santé mentale et communauté », qui sont des établissements de psychiatrie n’exerçant pas de mission de service public d’hospitalisation sans consentement, ne pourront désormais plus bénéficier de praticiens hospitaliers détachés.

Par ailleurs, le décret a maintenu la possibilité de détachement d’un praticien hospitalier au sein d’un établissement médico-social privé visé par l’article L.313-12 du Code de l’Action Sociale et des Familles. L’application de ce texte risque donc d’entraîner des situations incohérentes. En effet, dans l’hypothèse d’une Association gérant à la fois un établissement hébergeant des personnes âgées visé par l’article L.312-12 du Code de l’Action Sociale et des Familles, et un établissement de santé privé n’assurant de mission de service public, un praticien hospitalier pourrait être accueilli dans le premier établissement, mais pas dans le deuxième, alors même que les deux établissements font partis de la même Association.

En outre, précisons que selon l’article R.6152-52 du Code de santé publique, le détachement d’un PH au sein d’un établissement privé lucratif est désormais possible.

Enfin, le décret précise à son article  R.6152-55 du Code de santé publique, que dorénavant, aucun praticien hospitalier ne pourra être détache avant d’avoir exercé 3 années de service au sein de son hôpital.

Le durcissement des conditions de détachement du praticien hospitalier dans les établissements privés non lucratifs, a des conséquences sur les établissements de psychiatrie accueillant des praticiens hospitaliers (I).

L’impact du décret du 29 septembre 2010 sur les établissements de psychiatrie accueillant des praticiens hospitaliers

Le décret du 29 septembre 2010 a fragilisé les établissements de psychiatrie en termes d’effectif. En effet, nombreux de ces établissements avaient recours à ces praticiens hospitaliers détachés. Afin de pallier à ces nouvelles difficultés, les établissements de psychiatrie pourraient décider d’avoir recours à des conventions de mise à disposition conclues avec les établissements publics (§IV).

[1] Cass. soc., 18 juin 1992, n°90-13-594, Bull. civ. n°409. Cass. soc., 30 nov. 1995.

[2] Cass. soc., 19 oct. 1989, n°87-10.755.

[3] Cass. soc., 18 déc. 1975, n°72-12-907.

[4] Cass. soc., 18 juin 1992. Cité précédemment.

[5] Cass. soc., 16 mai 1991., n°89-13.806.

[6] CA. Paris 25 nov. 1992.

[7] Voir Annexes 1, 2 et 3.

[8] Cass. Soc., France Presse 1976.

[9] Voir Annexe 4.

[10] Les praticiens hospitaliers ne sont pas régis par la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Toutefois, ils constituent des agents publics dont le statut est rigoureusement encadré par le CSP.

Requalification contrat libéral en contrat de travail

 

Maître Mouillac-Delage intervient en droit de la santé, droit administratif et droit du travail.