La consécration de la GPEC

  1. Si la loi BORLOO donne à la GPEC une véritable légitimation institutionnelle, de nombreux textes ultérieurs viendront également enrichir cette notion dont l’évolution semble loin d’être achevée. Il est donc intéressant de s’attacher tant aux textes entérinant la GPEC en droit français, qu’aux textes complétant la notion. Nous examinerons donc successivement, les orientations de la loi BORLOO sur l’obligation triennale de négocier (I), ainsi que les textes qui lui sont postérieurs.

La loi BORLOO et l’obligation triennale de négocier

  1. Au gré des évolutions conjoncturelles, la GPEC a su trouver une place de partenaire privilégié au sein des directions des ressources humaines des établissements de santé, suscitant ainsi l’intérêt du droit du travail, ce dernier ayant horreur du vide[1], qui s’en saisira finalement avec la loi de « programmation et cohésion sociale » du 18 janvier 2005. De simple pratique RH, la GPEC a reçu une véritable légitimation institutionnelle, et s’est hissée au rang des outils juridiques indispensables au juriste d’entreprise, garant notamment du respect des obligations réglementaires. En instaurant une obligation triennale de négociation pour les entreprises de plus de 300 salariés, la loi Borloo créer une « obligation juridique permanente », et devient surtout « un facteur déterminant pour éviter les restructurations brutales[2]».
  1. Les articles L.2241-4, L.2242-15 et L.2242-16 du Code du travail, rendent ainsi obligatoire au niveau des branches, des entreprises et des groupes occupant au moins 300 salariés, ainsi que dans les entreprise et groupes de dimension communautaire comportant au moins 150 salariés en France, la mise en œuvre d’une négociation tous les 3 ans. Cette négociation a notamment pour objet les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise et ses effets prévisibles sur l’emploi et sur les salaires. Cette dernière porte également sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les modalités d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés[3]. Elle peut également porter sur les conditions d’accès et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle[4].
  1. A ces thèmes obligatoires peuvent également s’ajouter d’autres sujets tels que les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise lorsque l’employeur envisage de prononcer le licenciement économique d’au moins 10 salariés sur une même période de 30 jours[5], les conditions dans lesquelles l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi fait l’objet d’un accord, ainsi que l’anticipation du contenu de ce plan[6].
  1. La GPEC ne fait donc pas figure d’une obligation nouvelle, mais d’une obligation pour les entreprises et les groupes comportant au moins 300 salariés, de négocier de manière triennale. En outre, il s’agit d’une simple obligation de moyen et non de résultat pour l’employeur d’engager tous les 3 ans une négociation. En effet, rien ne l’oblige en cas d’échec des négociations, d’instaurer une démarche GPEC, sous réserve, toutefois, de remplir son obligation d’adaptation des salariés à leur poste de travail, et donc de veiller à leur employabilité, en vertu de l’article L.6321-1 du Code du travail.
  1. Notons que la nouvelle codification du Code du travail, entrée en vigueur le 1er mars 2008[7], a déplacé la négociation triennale dans le livre II de la deuxième partie du code, portant sur la négociation collective. Ce nouveau positionnement n’est pas dénué d’importance, car dans l’ancien code, la GPEC figurait dans un chapitre relatif à la « prévention des conséquences des mutations économiques », dans le livre III portant sur l’emploi, juste avant les dispositions portant sur le licenciement économique. Au regard de cette nouvelle codification, certains y verrons un « lien avec le licenciement pour motif économique distendu ou affaibli[8]».
  1. Si cette nouvelle codification paraît « plus logique[9]», elle soulève des questionnements quant au régime applicable à la négociation triennale. Convient-il de lui appliquer le régime commun des négociations obligatoires, ou demeure-t-elle dans un régime dérogatoire ? La structuration du chapitre II relatif à la négociation obligatoire en entreprise, permettra certainement d’apporter quelques éléments de réponse à cette interrogation. En effet, si le chapitre II comprend une première section intitulée « modalités de négociation obligatoire », il fait également référence à une section 2 relative à la négociation annuelle, ainsi qu’à une section 3 relative à la négociation triennale.

Cette composition nous amène à penser que les règles de droit commun de la négociation obligatoire ne concernent que les négociations annuelles, et que la négociation triennale relève d’un régime qui lui est propre. Cette analyse semble d’autant plus juste que l’article L.2242-1 énonce que « dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs section syndicales d’organisations représentatives, l’employeur engage chaque année, une négociation sur les matières prévues par le présent chapitre ». A défaut d’une initiative de l’employeur, le délai suivant la précédente négociation au terme duquel une organisation syndicale peut demander l’ouverture de nouvelles négociations est donc d’un an. Cet article exclu toute possibilité de négociation triennale et permet de considérer que les règles de négociations obligatoires ne concernent que la négociation annuelle.

  1. La frontière entre la négociation triennale et les négociations obligatoires est cependant moins intangible qu’il n’y paraît. En effet, on peut constater que certaines règles relatives à ces négociations obligatoires, ne font référence à aucune périodicité de négociation, et devraient donc être appliquées à la négociation triennale. C’est le cas de l’article L.2242-2 sur le contenu de la réunion de négociation ne faisant mention d’aucune périodicité. Il en va de même pour les articles L.2242-3 sur l’interdiction faite à l’employeur d’arrêter de manière unilatérale les mesures collectives sur les sujets négociés tant que la négociation est en cours, et L.2242-4 sur l’établissement d’un procès-verbal de désaccord.

  1. L’étude de la nouvelle codification du Code du travail démontre également que l’absence de négociation sur l’institution d’une démarche GPEC est désormais sanctionnée pénalement, contrairement aux dispositions de l’ancien code. En effet, le nouvel article L.2243-2 énonce que « le fait de se soustraire aux obligations prévues aux articles L.2242-5, L.2242-8, L2242-9, l2242-11 à L.2242-14 et L.2242-19 relatives au contenu de la négociation annuelle obligatoire est punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3750 € ». Cet article fait directement référence à L.2242-19, visant expressément la négociation triennale sur la gestion prévisionnelle des emplois, et crée de ce fait une sanction pénale en cas de non-respect des dispositions relatives à la GPEC.
  1. La notion de GPEC s’est donc développée pas à pas, avant que sa consécration officielle ne soit affirmée par la loi BORLOO le 18 janvier 2005. Toutefois, loin d’avoir achevé sa construction juridique, elle a bénéficié de l’enrichissement de nombreux textes postérieurs s’inscrivant dans la logique de la loi de 2005.

Les textes postérieurs à la loi BORLOO

  1. La GPEC, a été complétée par la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de l’actionnariat des salariés[10], ainsi que par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 datée du 26 décembre 2006[11]. En effet, si la loi de 2006 traite de mesures relatives à l’épargne salariale, elle met également en œuvre tout un ensemble de mesures sociales, et notamment une mesure de reclassement intitulée « congé de mobilité[12]». Cette mesure, réservée aux entreprises et groupes d’au moins 1000 salariés, a pour objectif d’aider les salariés à trouver un nouvel emploi. Le cadre juridique de la démarche GPEC sera également complété par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, instaurant des mesures fiscales et sociales favorables aux accords GPEC et consistant en l’exonération des indemnités de départs volontaires versées aux salariés ayant trouvé un emploi stable, ou crée ou repris une entreprise dans la limite de 4 fois le plafond de sécurité de la sociale.
  2. Les Accords Nationaux Interprofessionnels prendront également part à la construction juridique du dispositif GPEC. L’Accord National Interprofessionnel du 9 mars 2006 sur l’emploi des séniors[13], viendra ainsi enrichir la notion d’anticipation de l’emploi et des compétences, en prévoyant notamment que chaque salarié âgé de 45 ans bénéficie d’un entretien de deuxième partie de carrière, destiné à dresser ses compétences, ses besoins de formation, et son évolution professionnelle.
  1. Par ailleurs, l’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail[14], à travers son article 9, viendra marquer une volonté sans équivoque des partenaires sociaux de redonner une nouvelle dynamique à la GPEC, en favorisant le jeu des évolutions internes et externes des salariés en entreprise. Pour autant, certains ont évoqué leurs interrogations quant à la portée de cet accord. « La sécurisation des parcours professionnels à l’origine évoquée par Alain SUPIOT, constitueraient-elle réellement une modernisation du marché du travail[15]».

En effet, cet accord a souvent été perçu comme un ensemble de recommandations ou de suggestions, protectrices non pas du poste du salarié, mais du salarié lui-même[16], par l’instauration de mesures telles que la résiliation amiable, la majoration de l’indemnité de licenciement, ou l’élargissement des droits aux allocations chômage[17]. Si grâce à l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2008, la GPEC épouse les formes d’un dispositif juridique plus complet, il demeure tout à fait légitime de s’interroger sur l’avenir d’une telle démarche de sécurisation des parcours professionnels, et de se demander si « L’antienne de la création d’emplois par la flexisécurité (à la danoise) sera demain jugée mélodieuse (en France) ?[18] ».

  1. L’accord sur la modernisation du marché du travail sera suivi de près par l’Accord National Interprofessionnel du 14 novembre 2008 sur la GPEC dont l’objet sera de mettre en œuvre des éléments de sécurisation des parcours professionnels prévu par l’Accord du 11 janvier 2008.
  1. In fine, l’accord du 7 janvier 2009 sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels[19], s’inscrira dans la logique et la continuité de l’accord du 11 janvier 2008. L’enjeu de ce texte sera de former d’avantage de salariés ou de demandeurs d’emploi, de manière à les maintenir ou à les faire progresser dans l’emploi, tout en gardant à l’esprit l’impératif de sauvegarde de compétitivité de l’entreprise. Dans une logique d’anticipation de l’emploi et des compétences, l’accord met ainsi l’accent sur la notion de « projet et de parcours professionnel » des salariés en poste ou privés d’emploi.
  1. L’étude des textes depuis la loi BORLOO de 2005, confirme très clairement la tendance évolutive de la GPEC et permet d’en conclure que dorénavant, « les entreprises n’ont plus seulement à former pour adapter au poste de travail, mais aussi pour assurer le maintien dans l’emploi[20]».

[1] L. DUCLOT, Le droit de la bonne pratique. Enquête sur  une norme de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Cahiers philosophiques, n°116, décembre 2008, p.45.

[2] Propos de Monsieur G. LARCHER.

[3] Art. L.2242-15 c. travail. Anc. art. L.320-2, I, al.1, phrases 1 et 2.

[4] Art. L.2242-19 c. travail. Anc. art. L.123-7, al.2.

[5] Art. L.1233-21 c. travail. Anc. art. L.320-3, al 1.

[6] Art. L.1233-22 c. travail. Anc. art. L.320-3, al 2 et 3.

[7] Prévue par une ordonnance du 12 Mars 2007, la nouvelle codification des textes sur le droit du travail est entrée en vigueur au 1er Mars 2008.

[8] G. KESZTENBAUM, A-L DODET, O. RAULT, La GPEC, une « symphonie inachevée » ? Jurisprudence Sociale Lamy, 6 octobre 2008, n°241.

[9] P. LE COHU, J-M MIR , La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, Liaison sociale, juin 2008, p.18.

[10] Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social.

[11] Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.

[12] Art. L.1233-77 à L.1233-83 c. travail.

[13] Le 9 mars 2006, trois organisations syndicales (CFDT, CFTC, et CFE-CGC), et le MEDEF, la CGPME et l’UPA ont signé un ANI sur l’emploi des séniors du 13 octobre 2005, issu des négociations. La CGT et la CGT-FO ont refusé de signer l’accord.

[14] L’ANI sur la modernisation du marché du travail a été signé par quatre des cinq organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC, et FO), ainsi que trois organisations patronales (CGPME, MEDEF et UPA). Il a été étendu le 25 juillet 2008.

[15] Un accord en devenir. J-E RAY, droit social n°3 mars 2008, p.275.

[16] J-E RAY, op.cit.

[17] Pour Monsieur le professeur J-E RAY, les mesures misent en œuvre dans l’ANI du 11 janvier 2008 ont pour objectif de « dédramatiser à la fois symboliquement et financièrement une rupture aujourd’hui banalisée ».

[18] J-E RAY, op.cit.

[19] L’ANI du 7 janvier 2009 a été signé par trois organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA), ainsi que par les cinq confédérations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, et CFE-CGC).

[20] Propos tenus par Monsieur R. BAGORSKI, conseillé confédéral à la CGT, lors de la matinée ANI Centre Inffo, du 5 février 2009.

La consécration de la GPEC