I- Articulation contentieuse quant au statut individuel

3. Si la GPEC a pour objet d’organiser le transfert des compétences et des savoirs, elle devra inévitablement s’adapter au mouvement de restructuration frappant le secteur sanitaire et médico-social. Mener une telle démarche au cœur des restructurations implique donc d’anticiper un éventuel transfert d’activité et des contrats de travail. Ainsi, la négociation de la GPEC sera l’occasion de préciser les modalités d’accompagnement et de transfert des contrats de travail cédés du fait de la cession ou de la fusion.

4. En effet, lors d’une opération de restructuration, par fusion ou transfert d’activité, les contrats de travail en cours sont automatiquement transférés au repreneur conformément à l’article L.1224-1 du Code du travail qui dispose que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

5. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venue préciser cette notion de transfert d’entreprise, en la subordonnant à deux conditions cumulatives. D’une part, le transfert d’activité doit porter sur une entité économique autonome. D’autre part, l’activité doit conserver son identité et être poursuivie ou reprise.

6. Précisons que les juridictions françaises sont également tenues d’interpréter les dispositions françaises « à la lumière » des dispositions communautaires. En effet, la Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 , précise que ses dispositions sont applicables « à tous transferts d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion. […] Est considéré comme transfert au sens de la présente Directive celui d’une entité économique maintenant son identité, entendu comme un ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité. Désormais, les juges français appréhendent les cessions d’activité au regard des dispositions nationales et européennes ».

Contentieux statut individuel

7. La chambre sociale de la Cour de cassation précise ainsi, « que l’article L.1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la Directive n°2001/23/CE, s’applique en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ». Dès lors, le transfert de l’activité économique autonome est constitué lorsque tous les moyens d’exploitation sont transférés .

A contrario, dans l’hypothèse où tous les moyens corporels et incorporels ne sont pas transférés, il convient de rechercher si « des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris ». Dans le secteur sanitaire et médico-social, les moyens que l’on peut considérer comme significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité, sont très certainement le personnel et les autorisations d’exploitation.

En effet, ainsi que l’affirme Monsieur Olivier BONIJOLY, « ces deux éléments sont au cœur de l’entité économique : l’autorisation est l’objet de l’activité, et la compétence du personnel, le moyen de le réaliser ». La jurisprudence précise cependant que le simple transfert d’autorisation d’exploiter n’autorise pas l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail .

8. Récemment, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’application de l’article L.1224-1, dans l’hypothèse d’un transfert partiel d’activités dites « accessoires », telles que le nettoyage ou la restauration. Dans un premier temps, elle a considéré que les établissements de santé « constituent en eux-mêmes des entités économiques dont aucun service participant à la prise en charge globale des malades, même s’il peut être confié à un tiers, ne peut constituer une entité économique distincte ».

Par la suite, la chambre sociale a fait évoluer son positionnement en considérant que le transfert de l’activité exercée pouvait être partiel voire secondaire .

9. Dans l’hypothèse d’un transfert d’activité entre un établissement public et privé, la directive communautaire 2001/23/CE du 12 mars 2001 est venue préciser qu’elle s’appliquait « aux entreprises publiques et privées exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif ».

Par ailleurs, le code du travail dans ses articles L.1224-3 et suivant, rappelle à son tour que « Lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d’un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires.

Sauf disposition légale ou conditions générales de rémunération et d’emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu’elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération ».
« Sous réserve de l’application de dispositions législatives ou réglementaires spéciales, lorsque l’activité d’une personne morale de droit public employant des agents non titulaires de droit public est reprise par une personne morale de droit privé ou par un organisme de droit public gérant un service public industriel et commercial, cette personne morale ou cet organisme propose à ces agents un contrat régi par le présent code. Le contrat proposé reprend les clauses substantielles du contrat dont les agents sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération ».

10. Dès lors que les conditions d’application de l’article L.1224-1 du Code du travail sont remplies, tous les contrats de travail sont automatiquement transférés au nouvel employeur. La réunion des conditions d’application de L.1224.1 entraîne donc un transfert de plein droit des contrats de travail , s’imposant tant aux salariés qu’à l’employeur . Précisons que ce dernier peut décider d’effectuer une application volontaire de L. 1224.1, sous réserve de l’acceptation des salariés concernés. Il peut également décider, par l’intermédiaire d’un accord collectif, d’organiser le transfert des contrats de l’ancien au nouvel employeur.

11. Un accord GPEC pourra donc encadrer une opération de transfert d’entreprise en précisant les modalités de transfert des contrats. Ce transfert d’entreprise pourra occasionner une modification des contrats de travail.

Tel sera le cas dans l’hypothèse d’un regroupement d’établissements, entraînant une mobilité géographique, c’est-à-dire, une modification du lieu de travail en dehors de la zone géographique initiale. Conformément à la jurisprudence, le licenciement prononcé par le cédant à l’occasion d’un transfert d’entreprise est privé d’effet . Le cessionnaire de l’établissement ne sera pas non plus en mesure d’imposer au salarié la modification de son contrat de travail, au risque de voir ce dernier prendre acte de la rupture de son contrat .

Le cessionnaire n’aura d’autre choix que de proposer au salarié la modification de son contrat de travail. Si ce dernier refuse, le nouvel employeur devra en tirer les conséquences, soit en formulant une nouvelle proposition, soit en procédant au licenciement économique du salarié. Le licenciement en question reposera sur l’article L.1222-6 du code du travail, relatif à la modification du contrat de travail pour motif économique.

12. En définitive, lorsque l’employeur souhaite mettre en œuvre une GPEC, ainsi qu’une réorganisation de l’établissement en vue de faire face aux évolutions technologiques, ce dernier risque d’être confronté à la problématique de la modification de contrat de travail des salariés. En effet, s’il se heurte au refus de plus de 10 salariés de modifier leur lieu de travail ou leur qualification professionnelle, l’employeur sera tenu de mettre en œuvre un Plan de Sauvegarde de l’Emploi. Paradoxalement, le DRH devra donc conclure un accord GPEC destiné à prévenir les licenciements économiques, mais aussi trouver un motif économique, réel et sérieux, permettant de justifier les ruptures du contrat de travail par anticipation .

13. En cas de difficultés structurelles pour l’établissement, l’accord GPEC doit prévoir et anticiper le traitement de ses difficultés. Pour ce faire, l’accord peut envisager la conclusion d’un accord de Gestion Active de l’Emploi (GAE), dont l’objectif est d’éviter la mise en place d’un PSE, en favorisant des mesures d’aide à la mobilité et de reconversion des salariés.

Dans cette optique, l’accord GAE doit conduire l’établissement à réduire l’emploi sur certains services, voire à procéder à des opérations de restructuration et de transfert de salariés vers d’autres établissements. Dans un climat social tendu du fait des mutations, l’accord GAE doit nécessairement reposer sur une relation de confiance entre la direction et les partenaires sociaux.

Monsieur Yves BARON, président du « Cercle des DRH européens », plaide en faveur d’une GPEC anticipatrice et défend ce concept de GAE, qui selon lui devrait être doté d’un cadre juridique précis. « L’essor de ce mécanisme exige un cadre juridique qui rassure les entreprises. Aujourd’hui, nous ne sommes pas à l’abri de contentieux » explique-t-il.

14. Lancer une démarche GPEC alors même que l’établissement est en mutation, nécessitera donc la signature d’un accord anticipant et accompagnant le transfert des contrats de travail d’un établissement à l’autre. Cette anticipation des besoins permettra d’éviter une restructuration brutale de l’établissement, et la mise en place d’un PSE.