Corrélation entre qualité de vie au travail et qualité des soins

  1. Il faut dépasser la simple vision « technocrate » ou « chronophage [1]» de la GPEC, pour en faire une démarche dynamique et stratégique, axée vers la qualité de prise en charge du patient. La GPEC ne doit pas être vue comme une simple variable d’ajustement budgétaire, mais comme une démarche visant non seulement à valoriser le personnel et les parcours professionnels, mais aussi à garantir un travail de qualité. En effet, lorsque l’on anticipe les recrutements, les départs en retraite ou lorsque l’on forme le personnel, c’est effectivement pour anticiper le changement et optimiser la gestion du personnel. C’est également et surtout pour mettre en place du personnel formé, compétent, disponible et adaptable, véritable gage de qualité de prise en charge du patient. Dès lors, cette démarche d’optimisation de la gestion des ressources humaines, s’inscrit naturellement dans une logique d’amélioration de la qualité, de bien-traitance des usagers et corrélativement du personnel.

 

  1. De nombreuses études mettent en exergue le lien entre amélioration des conditions de vie au travail et qualité de prise en charge du patient. Selon le philosophe André COMTE-SPONVILLE[2], le but de l’entreprise est la réalisation du profit, et non le bonheur du salarié. Pour autant et paradoxalement, pour faire du profit, il faut les meilleurs salariés. Sachant qu’il n’y a de motivation au travail que par le désir, le bonheur du salarié constitue un moyen pour améliorer la productivité et le profit d’un établissement. La Haute Autorité de Santé a d’ailleurs bien intégré l’importance du lien existant entre qualité de vie au travail et qualité des soins. Elle a ainsi organisé plusieurs rencontres courant 2010 et 2011 traitant de cette problématique. Avant d’en préciser les détails, rappelons le contexte concourant à cette prise en considération.

 

  1. L’environnement mouvant auquel est confronté le champ sanitaire et médico-social n’est pas sans incidence sur la santé des professionnels, tenus d’offrir des soins de qualité au patient, dans un contexte de travail toujours plus intense, flexible, et individualisé. Ces dernière années ont vu apparaître une forte augmentation des pathologies liées à la surcharge, tels que les troubles musculo-squelettiques[3], burn-out[4], dépression, voire suicide[5]. Devant l’ampleur de ces drames humains, les pouvoirs publics ont pris conscience de l’importance de ce phénomène qualifié de « mal-être[6]» ou « souffrance » au travail. Dans ce contexte, diverses institutions ont manifesté leur intérêt pour cette nouvelle problématique. L’ANACT a ainsi organisé en 2004 sa neuvième « semaine qualité de vie au travail ». L’accord du 20 novembre 2009 sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique marque également l’attachement des pouvoirs publics à l’amélioration des conditions de travail. Par ailleurs, la conclusion du rapport « bien-être et efficacité au travail – 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail[7] » en 2010, s’inscrit dans cette même logique. Enfin, rappelons qu’à l’initiative de la DGOS, un appel à candidature a été lancé auprès des ARS le 31 juillet 2012[8], pour l’accompagnement de projets sur l’évaluation et la prévention des risques psychosociaux dans les établissements publics ou privés de santé.

 

  1. Plusieurs travaux de recherche, et notamment l’étude « Presst-Next[9]» relatif à la « santé et la satisfaction des soignants au travail en France et en Europe », mettent en lumière le « mal-être » des soignants. Selon Monsieur Christophe DEJOURS, la démarche qualité est à l’origine de cette perte de plaisir de travailler. Celui-ci oppose ainsi le « travail prescrit » au « travail réel », c’est-à-dire, le travail qu’un professionnel doit exécuter, et ce à quoi le professionnel doit faire face pour que le travail se réalise. D’après ses analyses, la démarche qualité ignore le travail réel. Or, « pour reconnaître, il faut d’abord connaître[10] ». Cette méconnaissance du travail réellement effectué, entraîne ainsi l’absence de reconnaissance du travail fait.

 

  1. Au regard de ces éléments, la Haute Autorité de Santé a mis en exergue le lien entre qualité de vie au travail et qualité des soins. L’étude réalisée à sa demande, par Mesdames Claire COMPAGNON et Véronique GHADI relatif à la « maltraitance [11]» « ordinaire[12]» en établissement de santé, démontre bien l’existence d’une équation entre « conditions de travail », « qualité de vie au travail » et « bien-traitance[13] ». D’après ce rapport, les services bien-traitants correspondraient à des unités où le personnel aime travailler. Corrélativement, la « dévalorisation du personnel[14] » ainsi que les « difficultés de management », favoriseraient la maltraitance. Suite à cette étude, la HAS a pris la décision d’assurer la promotion ou le « portage [15]» de cette thématique relative à la qualité de vie au travail, par le biais d’organisation de séminaires réunissant notamment, psychologues de travail et professionnels de la qualité et de la sécurité des soins. Parmi ces experts, Monsieur Yves CLOT[16], affirme que « santé et efficacité sont reliés[17] ». Selon lui, la « qualité du travail » renvoie à la performance et à l’efficacité[18], alors que la « qualité de vie au travail » correspond à la santé au travail. Dès lors, « si l’on sépare qualité du travail et qualité de vie au travail, on prend le risque de séparer santé et efficacité[19] ». Pour améliorer la qualité de vie au travail, il conviendrait donc d’améliorer le travail.

 

  1. Ainsi que le précise Monsieur Raymond LE MOIGN[20], il existerait une « triangulation magique entre qualité du travail, santé des professionnels et qualité des soins[21]». Le point d’entrée de ce triangle résiderait dans la conception d’une politique qui a du sens et dans la production du collectif[22]. Selon nous, cette « politique qui a du sens », pourrait être la politique sociale de l’établissement, guidée par la démarche GPEC. Cette dernière apparaitrait ainsi comme un formidable levier d’amélioration des conditions de travail et corrélativement de la qualité des soins.

 

  1. Récemment, deux hôpitaux marseillais ayant pris la décision de se regrouper, Ambroise PARE et Paul DESBREL, ont inscrit dans leur axe stratégique du plan d’amélioration 2009-2012, la qualité de vie au travail, sans pour autant la distinguer des autres démarches qualité. Ces deux hôpitaux ont choisi de traiter la qualité comme une démarche d’ensemble touchant à la fois le personnel et les patients. A titre d’exemple, afin de concilier vie professionnelle et vie personnelle, ces établissements ont mis en place en 2006 une conciergerie à destination du personnel, ayant vocation à s’étendre dans un avenir proche aux patients. Dans l’optique de promouvoir la qualité de vie au travail, un nouveau logiciel de gestion des plannings a été installé, une association sportive a vu le jour, une charte des valeurs, ainsi qu’un dispositif d’accueil des nouveaux embauchés ont notamment été élaborés.
  2. Ces établissements ont également mené à bien une démarche GPEC ayant notamment permis de former une partie du personnel en puériculture en vue de la création d’une crèche d’établissement. Au regard de cet exemple, le lien entre GPEC et qualité est manifeste. Toutefois, en l’espèce, il semble que la démarche GPEC ait été englobée dans une démarche plus générale d’amélioration de la qualité de vie au travail de l’établissement. Afin de donner d’avantage d’ampleur au projet, la démarche GPEC aurait certainement pu être le moteur ou le levier d’amélioration de la qualité de vie au travail et de la qualité de prise en charge des patients. C’est d’ailleurs, l’option choisie par d’autres établissements ayant souhaité intégrer la thématique de l’amélioration des conditions de travail dans leur accord GPEC.

 

  1. L’UGECAM Ile de France a ainsi placé au cœur de son accord, la problématique de l’emploi des seniors et de la pénibilité au travail. L’accord propose notamment de mettre en œuvre un « plan santé au travail[23]» ainsi qu’un « encadrement de proximité en cas de problématiques physiques identifiées ». Il suggère également d’établir « un partenariat réactif avec la médecine du travail », « d’organiser le temps de travail afin de permettre l’utilisation de matériel adapté », et de « favoriser la mobilité interne[24] ». Il s’agit là d’une voie à suivre pour tout établissement de santé désireux de donner une plus-value à sa démarche GPEC, en l’orientant vers l’amélioration des conditions de travail afin de garantir une qualité de prise en charge de ses patients. Assurer la bien-traitance des usagers par la bien-traitance des professionnels, permettrait ainsi de donner un véritable sens à la démarche.

 

  1. En ayant pour finalité la qualité de prise en charge du patient, la démarche GPEC nécessite l’utilisation d’un certain nombre d’outils stratégiques qu’il convient de détailler afin d’en apprécier la portée (§2).

 

[1] GPEC Territoriale, Guide d’action, p. 1. . En préambule de ce guide, Laurent WAUQUIEZ, Secrétaire d’état chargé de l’emploi de 2008 à 2010, rappel que la GPEC est souvent perçue comme une démarche à la fois technocratique et chronophage.

[2]ANACT, André COMTE-SPONVILLE. Le regard d’un philosophe sur travail, bonheur et motivation, , diffusé le 30/07/2012 par l’ANACT.

[3] Selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont des pathologies multifactorielles à composante professionnelle. Elles affectent les muscles, les tendons, les nerfs des membres et de la colonne vertébrale. Elles s’expriment par de la douleur, de la raideur, de la maladresse, et une perte de force.

[4] Le terme « Burn-out » désigne le syndrome d’épuisement émotionnel. Selon Madeleine ESTRYN-BEHAR, médecin du travail et ergonome, l’absence de soutien psychologique, l’absence de qualité des soins, la peur de commettre des erreurs ou l’incertitude sur les traitements à entreprendre, sont des facteurs de burn-out chez les paramédicaux et médecins. Suite aux résultats des enquêtes Presst-Next et SESMAT, elle constate qu’en France, le score de burn-out chez les soignants et paramédicaux, est supérieur à celui des pays du nord. Par ailleurs, ce score varie en fonction du travail réalisé. Ainsi, les études démontrent que les urgentistes, les onco-hématologues ou les gériatres ont un score de burn-out beaucoup plus élevé que les médecins de soin palliatifs.

[5] Selon le rapport Suicide et activité professionnelle en France : premières exploitations de données disponibles, publié en avril 2010 par l’institut national de veille sanitaire, « le secteur de la santé et de l’action sociale présente le taux de mortalité par suicide le plus élevé (34.3/100 000) ». Précisons toutefois, que cette étude n’identifie pas les causes privées ou professionnelles de ces suicides.

[6] Patrick LEGERON rappel que la notion de « mal-être au travail » est connue sous plusieurs vocables : souffrance, stress ou risques psychosociaux. Elle est opposée à celle de « bien-être » correspondant à la définition de la santé donnée par l’OMS. En France, cette expression renvoie une image particulièrement négative, à l’opposé d’autres pays et notamment du Québec  où l’on fait référence à la notion de « santé psychologique au travail ». Compte rendu de la mission d’information sur le mal-être au travail, 27 janv. 2010. Patrick LEGERON est psychiatre et directeur général du cabinet Stimulus, auteur du rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail.

[7] H. LACHMANN, C. LAROSE, M. PENICAUD, Bien-être et efficacité au travail, 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail, fév. 2010.

[8]  Instruction DGOS/RH3/2012/300 du 31 juillet 2012 relative à l’appel à candidatures auprès des agences régionales de santé pour l’accompagnement de projets sur l’évaluation et la prévention des risques psychosociaux dans les établissements publics ou privés de santé.

[9] Etude Presst (Promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail) Next (Nurses Early Exit Study). Face au vieillissement des européens et de l’incidence que cela entraîne sur la façon d’exercer les professions soignantes, l’Union Européenne a décidé de promouvoir l’étude « Presst-Next » dans le cadre de son programme « qualité de vie au travail et gestion des ressources humaines ». Cette étude analyse les risques en matière de santé, de départs prématurés, ainsi que les facteurs de qualité de vie et de vieillissement normal au travail. « Nurses’ exit study-Quality of life and management sustaining working ability in the nursing profession: investigation of premature departure from work. Key action n°6.3, The population and disabilities. Proposals n° QLRT-2001-00475. Technical annex. 2001. 35 p. ». M. ESTRYN – BEHAR, Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe. Rennes.

[10] C. DEJOURS, L’évaluation du travail à l’épreuve du réel, critiques et fondements de l’évaluation, INRA Ed. Paris, 2003, p. 53. C. DEJOURS, Souffrance en France, La banalisation de l’injustice sociale, Seuil, Paris, 2000.

[11] Le Conseil de l’Europe ainsi que la commission d’enquête du Sénat sur la maltraitance des personne handicapées  désignent la maltraitance comme « tout acte ou omission, qui a pour effet de porter gravement atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l’intégrité corporelle, à a dignité ou au bien-être général d’un personne vulnérable ». C. COMPAGNON, V. GHADI, La maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé, Etude sur la base de témoignages, 2009, p. 10. Conseil de l’Europe, La protection des adultes et enfants handicapés contre les abus, La documentation française, Paris, 2002. Rapport de la commission d’enquête n°339 du Sénat, Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence.

[12] La maltraitance ordinaire est également appelée maltraitance « institutionnelle » ou « passive », car « banalisée » ou « invisible ». C. COMPAGNON, V. GHADI, op. cit. p. 2.

[13] C. COMPAGNON, V. GHADI, op. cit. Rapport sur la maltraitance ordinaire publié par la HAS en janvier 2010. http : //www.has-sante.fr. Le rapport décrit le « cercle vertueux » liant qualité de vie au travail et qualité des soins.

[14] HAS, Qualité de vie au travail et qualité des soins en établissement de santé, Séminaire du 20 octobre 2010, synthèse. p. 1.

[15] HAS, Synthèse du séminaire du 20 oct. 2010, op. cit. p. 3.

[16] Yves CLOT est titulaire de la chaire de psychologie au travail du Conservatoire National des Arts et des Métiers. Y. CLOT,  Le travail sans l’homme, éditions La Découverte, Paris, 1998.

[17] HAS, Actes du séminaire « qualité de vie au travail et qualité des soins dans les établissements de santé », 21 oct. 2010, La Plaine Saint Denis. p. 8.

[18] L’efficacité ne doit pas être confondue avec la rentabilité. Pour être efficace il faut atteindre ses objectifs et réaliser ce que l’on a prévu de faire.

[19] HAS, Actes du 21 oct. 2010. op. cit. p. 8.

[20] Raymond LE MOIGN est Directeur de l’Amélioration de la Qualité et de la Sécurité des Soins – Haute Autorité de Santé.

[21] HAS, Actes du 21 oct. 2010. op. cit. p. 43. Synthèse de la journée de séminaire par Raymond LE MOIGN.

[22] HAS, Actes du 21 oct. 2010. op. cit. p. 43.

[23] ANAP, op. cit. p. 34.

[24] ANAP, op. cit. p. 34.